CRITIQUE- Opéra McGill- L’humour à l’anglaise d’Albert Herring
Crédit Photographique : Sébastien Duckett
Inspiré de la nouvelle de
Maupassant Le
Rosier de madame Husson,
l’opéra-comique Albert
Herring de Benjamin
Britten sur un livret d’Eric Crozier est créé en 1947 au Festival de
Glyndebourne. Dans cet opéra de chambre, Britten dépeint une société campée
dans des valeurs traditionnelles, au jugement facile, en proie à la rébellion
du jeune Albert pourtant couronné pour sa conduite vertueuse.
La production d’Opera McGill joue sur l’emphase et le loufoque pour nous séduire, et c’est une formule gagnante. Les décors de Vincent Lefèvre sont un heureux mélange de surfaces épurées et de mobilier d’époque : le salon de Lady Billows a un charme bien à l’anglaise, sans être surchargé, tandis que la boutique de Mrs Herring a des allures de vieux magasin général. La psychologie des personnages et les relations au sein de la communauté, aspects essentiels dans l’œuvre de Britten, font l’objet d’un soin bien particulier grâce au travail conjoint de Ginette Grenier aux costumes, Florence Cornet aux maquillages et Patrick Hansen pour le jeu d’acteurs. Un travail méticuleux et précis qui nous permet de saisir immédiatement la personnalité des treize chanteurs évoluant sur la scène. Ce travail était indispensable, puisque l’opéra repose en grande partie sur un conflit de personnalités.
Jaclyn Grossman incarne une Lady Billows tranchante, impatiente, dont la seule vue inspire la répulsion, une sorte de Cruella inflexible pour qui tout est soit noir, soit blanc, en témoigne son costume. La voix est puissante et souple, le jeu sans fioritures. Vanessa Croome illumine cette production grâce à sa magnifique voix de soprano au timbre délicat et chatoyant, au phrasé subtil et à la projection très directe. Elle brille dans son rôle de Miss Wordsworth, jeune maîtresse d’école coquette et taquine qui n’hésite pas à folâtrer avec Mr. Gedge, joué par Zainen Suzuki. Lindsay Gable incarne une Florence Pike délicieusement détestable, avec une voix claire et un jeu efficace. Sébastien Comtois traîne le fardeau d’Albert Herring, le fils sage et un peu pataud qui rêve de s’émanciper. Au fil de l’opéra, sa voix s’ouvre et se libère au fur et à mesure qu’il brise sa coquille de jeune puceau. Le jeu de Diego Valdez, en Mr. Upfold, est aussi hilarant que son apparence de Mr. Monopoly.
Globalement, les acteurs sont toujours en mouvement, il n’y a aucun temps mort, aucun personnage figé et l’orchestre de treize musiciens dirigé par Andrew Bisantz est très réactif, participant aux effets comiques sans jamais tomber dans le cliché, dans un discours émaillé de nombreuses références musicales. Le seul bémol de cette production, tout de même de taille, est le manque de surtitres qui, cumulé à la diction imparfaite de certains chanteurs, nous enlève une bonne part de compréhension. L’essentiel est là, mais beaucoup de subtilités nous échappent.
Opera McGill peut se réjouir de cette production sans aucune mortalité qui nous permet d’apprécier l’œuvre de Britten avec un niveau, tant scénique que musical, très élevé. Nul doute que nous verrons bientôt certains protégés de Patrick Hansen fouler les planches de scènes prestigieuses. On en redemande !
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Albert Herring de Benjamin Britten, opéra-comique en trois actes sur un livret d’Eric Crozier
Production : Opera McGill
Salle de concert Pollack de l’Université McGill, 8 novembre 2018
INT : Jaclyn Grossman (soprano), Lindsay Gable (contralto), Vanessa Croome (soprano), Zainen Suzuki (baryton), Diego Valdez (ténor), Cesar Naassy (basse), Sébastien Comtois (ténor), Stephanie Sedlbauer (mezzo-soprano), Andrew Lieflander (baryton), Charlotte Siegel (mezzo-soprano).
ORC : Orchestre symphonique de McGillDM : Andrew Bisantz
MES : Patrick Hansen
- Production