Critiques

LA MAGIE DE ROBERT LEPAGE AU SERVICE DE MOZART

LA MAGIE DE ROBERT LEPAGE AU SERVICE DE MOZART

(Photo: Simone Osborne (Pamina) et Audrey Luna (La Reine de la nuit) dans La flûte enchantée de Mozart, Festival d’opéra de Québec, 2018). Crédit photo : Louise Leblanc)

Pour sa huitième édition, le Festival d’opéra de Québec a renoué avec Robert Lepage, un complice de la première heure, dont Le Rossignol de Stravinski, The Tempest de Thomas Adès, La Damnation de Faust de Berlioz et L’Amour de loin de Kaija Saariaho ont été applaudis au Grand Théâtre entre 2011 et 2015. Du 1er au 6 août 2018, le public québécois a donc assisté, avant le Metropolitan Opera, à la création de ce qu’il convenait d’appeler familièrement « La flûte enchantée de Robert Lepage ». Car il faut bien le reconnaître, si le Grand Théâtre a fait salle comble à quatre reprises, c’était d’abord pour voir ce que le génial metteur en scène avait cogité à partir du chef-d’œuvre de Mozart. Le résultat fut saisissant et a largement dépassé nos attentes : les mots « enchantement » et « magie » étaient sur toutes les lèvres, de quoi faire oublier à Lepage et à sa compagnie Ex Machina les récents déboires de SLĀV et de Kanata.

Robert Lepage a façonné un bijou qui ramenait le spectateur à l’essence de ce que Mozart et son librettiste avaient en tête : un opéra initiatique que seuls les francs-maçons de l’époque pouvaient décoder, mais dans lequel le grand public trouvait de quoi se divertir et s’émerveiller, comme dans un conte digne des Mille et une nuits. Pour y parvenir, il a utilisé toutes les ressources humaines et multimédia qui lui sont chères, avec la collaboration de Jamie Harrisson, spécialiste des illusions et des effets de magie, et des éclairages de Simon Wilkinson. Un ciel étoilé et la scène plongée dans le noir rappelaient au spectateur l’emprise et l’obscurantisme de la Reine de la nuit. Le gigantesque serpent du premier acte, les épreuves du feu et de l’eau et l’immense disque solaire du dénouement étaient spectaculaires. Les costumes, signés Kym Barrett, faisaient de Pamina une princesse japonaise, tandis que Tamino évoquait indubitablement quelque prince persan. Les couleurs vives allaient de pair avec leur jeunesse et tranchaient avec la froideur de la Reine de la nuit, vêtue de bleu et d’argent, et l’or des tuniques de Sarastro et des prêtres égyptiens. Par contre, on peut se s’interroger sur la pertinence des immenses chapeaux et turbans qui semblaient entraver les mouvements des chanteurs qui les portaient.

Sur le plan scénique, le fond noir permettait une vaste gamme d’illusions, de quoi ravir notre âme d’enfant. Avec le soutien de quelques acrobates et d’accessoires bien fondus dans le décor – ce qu’on appelle le black art –, les chanteurs et leurs doublures apparaissaient, disparaissaient ou lévitaient comme par magie, se déplaçant même en tapis volant (les trois enfants), tandis que des oiseaux virevoltaient autour de Papageno. Les yeux et l’esprit des spectateurs étaient tellement captivés qu’il fallait parfois ramener les oreilles à l’ordre pour se concentrer sur la musique !

Côté vocal, quel choix judicieux que le tandem du ténor Frédéric Antoun, un excellent Tamino, à la fois solide, expressif et plein de feu, et du baryton-basse Gordon Bintner, un Papageno parfait, à la fois drôle et attachant ! La voix pure et riche en nuances de Simone Osborne, une soprano pleine de sensibilité, qui ne manquait pas de puissance dans le registre aigu, m’avait émue l’an dernier dans Louis Riel au Festival d’opéra de Québec. Cependant, elle ne faisait pas toujours le poids dans les duos avec ses partenaires masculins.

J’avais peut-être trop d’attentes concernant la Reine de la nuit : Audrey Luna, qui m’avait fascinée dans The Tempest en 2012, tant par ses acrobaties que par ses coloratures, me semblait laborieuse dans son premier air. Il faut dire que si, visuellement, son apparition était à couper le souffle, il n’était peut-être pas évident de chanter du Mozart, engoncée dans une immense robe, à mi-chemin entre ciel et terre. Au deuxième acte, par contre, bien campée face à Pamina, elle a offert une meilleure interprétation dans le vindicatif « Der Hölle Rache ». 

John Relyea et Neil Craighead avaient la prestance et la noblesse voulues pour incarner Sarastro et l’orateur, tandis que le Monostatos d’Éric Thériault, un ténor que j’avais remarqué l’an dernier lors de ce même festival, était irrésistible : il fallait le voir sauter à la corde sous l’effet du carillon de Papageno. Les trois dames, Lyne Fortin, Megan Latham et Allyson McHardy, ont offert un bel ensemble souvent teinté d’humour, et on souhaiterait revoir plus souvent Lyne Fortin sur nos scènes lyriques québécoises. Soulignons les trois enfants envoyés à la rescousse de Pamina et de Tamino, incarnés par Gabrielle Lapointe, Marie‑Louise Duguay et Clara Magnan Bossé, aux voix juvéniles, toujours justes et en place.

Les chœurs, surtout ceux des prêtres égyptiens, avaient fière allure, et le chef autrichien Thomas Rösner a dirigé avec fermeté l’Orchestre symphonique de Québec, reprenant prestement en main les petites hésitations de certains chanteurs.

En conclusion, la mise en scène de La flûte enchantée de Robert Lepage risque d’être difficile à détrôner.

La flûte enchantée de Mozart

La flûte enchantée, opéra de Wolfgang Amadeus Mozart en deux actes sur un livret d’Emmanuel Schikaneder

Production
Festival d'opéra de Québec
Représentation
Salle Louis-Fréchette, Grand Théâtre de Québec , 4 août 2018
Direction musicale
Thomas Rösner
Instrumentiste(s)
Orchestre symphonique de Québec
Interprète(s)
Frédéric Antoun (Tamino), Simone Osborne (Pamina), Gordon Bintner (Papageno), Audrey Luna (La Reine de la nuit) et John Relyea (Sarastro)
Livret
Emanuel Schikaneder
Mise en scène
Robert Lepage
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