OSM- CHAAKAPESH : LE FRIPON DE LA RÉCONCILIATION
(Photographie : Florent Vollant, narrateur)
Un grand coup, assurément, qu’a réussi l’OSM en présentant cette œuvre en ouverture de saison. Cet opéra de chambre de Matthew Ricketts sur un livret de Tomson Highway se voulait réconciliateur. Sur ce plan on peut affirmer : mission accomplie! Davantage qu’une simple juxtaposition, la culture autochtone respire, vit véritablement à travers Chaakapesh – le périple du fripon. L’auditeur assiste ainsi, fasciné, à un véritable dialogue entre deux cultures qui se côtoient, s’entremêlent, tentent de se comprendre à travers le rire.
Basé sur une légende autochtone, l’histoire est narrée alternativement en innu et en inuktitut, avec un texte chanté en cri. On apprend ainsi au début de l’histoire que les Premiers Peuples de Machaskeek (Terre-Neuve) sont massacrés par les Européens. Chaakapesh, le dieu innu du rire, est le seul à pouvoir mettre fin au carnage. Or, il semble davantage intéressé à chasser l’esturgeon pour son huile, afin d’aider sa grand-mère qui devient chauve. Le dieu Mantoo, déguisé en baleine, avale finalement Chaakapesh et recrache ce dernier sur les rives de Machaskeek. Chaakapesh ayant enseigné aux Européens que l’amour prend sa source dans le rire, la réconciliation peut s’amorcer.
Malgré la gravité du propos, le livret n’est pas sans quelques touches humoristiques, notamment par les insultes que se lancent allègrement Chaakapesh et Mantoo. Le mélange du langage musical de Ricketts, influencé par la tradition nord-américaine de composition, et d’éléments traditionnels autochtones se fait sans heurts, de manière tout à fait assumée et totalement maîtrisée. Peut-être parce que sa musique souligne admirablement les inflexions langagières typiques des trois langues autochtones employées? Librettiste et compositeur ont travaillé de concert, se sont inspiré l’un de l’autre au cours de plusieurs rencontres tout en demeurant résolument eux-mêmes : cela se sent, se voit, et surtout s’entend.
Ce projet fait la part belle aux artistes autochtones, fortement impliqué à diverses étapes du processus créatif. Florent Vollant a assuré le 6 septembre la narration en innu. Le samedi 8 septembre, c’est Akinisie Sivuarapik, artiste originaire du Nunavik et reconnue pour sa maîtrise des chants de gorge (katadjak), qui narrait le texte en inuktitut. L’artiste métisse multidisciplinaire Moe Clark a offert au public des moments exceptionnels et nous transporté avec ses chants accompagnés au tambour, issus de traditions autochtones. À leurs côtés, le baryton Geoffroy Salvas (Mantoo et la baleine) et le ténor Owen McAusland (Chaakapesh) possèdent une technique vocale assurée et un instinct théâtral évident : on espère les réentendre bientôt. La mise en scène de Charles Dauphinais et la scénographie de Lisandre Coulombe sont sobres, mais réussissent admirablement à évoquer à la fois les paysages nordiques et les grandes étendues d’eau que Chaakapesh traverse, dans le ventre de la baleine.
Force est donc de constater que l’art du conte possède encore aujourd’hui un fort pouvoir unificateur entre les peuples. Nous sommes impatients de savoir comment les communautés nordiques recevront cette œuvre. Grâce à une subvention du programme « Nouveau chapitre » du Conseil des arts du Canada, 17 musiciens de l’OSM partaient en tournée dès le lendemain pour Iqualuit, Salluit et Kuujjuak afin d’aller à la rencontre des Premières Nations.
Chaakapesh - le périple du fripon
Chaakapesh - le périple du fripon, opéra de chambre pour narrateur, deux solistes et orchestre de Matthew Ricketts sur un livret de Tomson Highway
- Production
- Orchestre symphonique de Montréal
- Représentation
- Maison symphonique de Montréal , 8 septembre 2018
- Direction musicale
- Kent Nagano
- Instrumentiste(s)
- Orchestre symphonique de Montréal
- Interprète(s)
- Owen McAusland, Geoffroy Salvas, Florent Vollant, Akinisie Sivuarapik, Moe Clark
- Mise en scène
- Charles Dauphinais