ROMÉO ET JULIETTE À L'OPÉRA DE MONTRÉAL: TOUT CE QU'IL FAUT, ET MÊME UNE BELLE SURPRISE!
Marie-Ève Munger (Juliette) et Ismael Jordi (Roméo)
Roméo et Juliette (Charles Gounod), Opéra de Montréal, 2018
Photographie : Yves Renaud
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L’Opéra de Montréal présentait Roméo et Juliette de Charles Gounod pour la quatrième fois de son histoire du 19 au 26 mai dernier à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts à Montréal. La distribution presque entièrement québécoise et canadienne (seuls l’Espagnol Ismael Jordi dans le rôle de Roméo et le chef d’orchestre italien Giuliano Carella faisaient exception dans la distribution locale) se mouvait dans des décors et costumes issus du patrimoine de la maison montréalaise.
Les éléments scéniques et visuels conçus par Claude Girard ont plutôt bien vieilli. On se retrouve plongés à Vérone quelque part au XVe siècle. C’est somptueux, coloré, spectaculaire, envoûtant même, comme dans la célébrissime scène du balcon, où les vignes verdoyantes et opulentes encerclent un balcon digne de nos rêves les plus ensorcelants.
Roméo et Juliette a été présenté à l’Opéra de Montréal en septembre 1986, novembre 1992 et novembre 2007. Cela faisait donc plus de dix ans qu’on avait vu et entendu les amours tragiques des amants maudits et c’est d’ailleurs Marc Hervieux qui jouait Roméo en 2007! D’étranges intrusions de modernisme plaçant l’histoire dans une sorte d’hybride entre monde ancien et années 1950 n’avaient guère plu au critique de La Presse en 2007! Cette fois, on a laissé tomber ces incongruités pour résolument camper l’action dans une Vérone médiévale, tel qu’indiqué dans la tragédie shakespearienne. Alexandre Sylvestre est le seul membre de la production 2018 qui était là en 2007. Alors qu’il jouait le Duc de Vérone il y a 11 ans, il campait le père Capulet cette fois.
On nous a avertis avant le lever de rideau que Marie-Ève Munger ne se sentait pas bien. Pendant une fraction de seconde, l’auditoire a frémi et pensé qu’on ne l’entendrait pas! La seconde suivante, on nous annonçait qu’elle serait sur scène. Ouf! Mais, ce questionnement terrible qui s’ensuit : la voix sera-t-elle affaiblie? Regrettera-t-on de voir cette artiste exceptionnelle faire ses débuts tant attendus sur la scène de l’Opéra de Montréal dans de mauvaises conditions?
Prévoyance inutile de l’artiste ou de l’institution? L’instrument de la soprano colorature est beau et souple. Aucune diminution des capacités de la colorature n’est perceptible dans le célébrissime air Je veux vivre dont l’interprétation est récompensée par des applaudissements bien sentis. C’est peut-être à la fin du marathon de trois heures que l’on commence à sentir l’essoufflement, quelques aigus souffrant d’une pâte sonore amincie. Mais le détail est assez peu contrariant. En plus, elle joue bien. Peut-être avec un peu trop d’accents juvéniles dans les deux premiers actes, la tragédienne trouvant un point d’ancrage solide dans les deux derniers actes et faisant preuve d’une qualité de jeu assez incarnée.
La véritable surprise de cette soirée lyrique est venue du ténor Ismael Jordi, dont le Roméo, fut séduisant, naturel et sans esbroufe. Doté d’une diction française facilement compréhensible, et ce malgré quelques accents toniques indéniablement latins, le ténor espagnol a livré une performance très agréable, illustrée notamment par un Lève-toi soleil du deuxième acte livré avec beaucoup d’élégance, de sincérité et d’économie. Certains ténors ont tendance à appuyer avec trop de force et de précipitation sur le mot soleil. Tout au contraire, Ismael Jordi interprète ce grand air avec retenue, comme s’il le savourait pleinement. Son phrasé naturel, presque calme, trahit l’âme d’un Roméo en véritable plénitude émotionnelle, La voix est souple, bien ronde dans son registre moyen, avec de beaux graves aussi. Les aigus sont parfois minces, mais pas suffisamment pour devenir irritants.
Hugo Laporte jouait un Mercutio truculent, plein de répartie. Il a franchement comblé les attentes qu’il suscite après avoir remporté de nombreux prix dans différentes compétitions nationales et internationales. Il faisait ses débuts à l’Opéra de Montréal et on ne peut que rêver que lui soient confiés (et surtout l’entendre!) des rôles plus costauds et marquants dans les années à venir. Avis à la direction de l’institution!
Hugo Laporte (Mercutio) et Ismael Jordi (Roméo)
Roméo et Juliette (Charles Gounod), Opéra de Montréal, 2018
Photographie : Yves Renaud
Les autres membres de la distribution ont fait bonne figure, sauf peut-être Sebastian Haboczki dont le Tybalt n’offrait ni le caractère ni la force vocale souhaitée pour ce personnage cherchant constamment à s’imposer.
Le Choeur de l’opéra et l’Orchestre métropolitain ont répondu à la commande, si ce n’est quelques incohérences rythmiques dans les premières minutes de l’oeuvre, aspérités qualitatives qui n’ont heureusement pas eu de suite.
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Roméo et Juliette
Opéra de Charles Gounod sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 19 mai 2018
- Direction musicale
- Giuliano Carella
- Instrumentiste(s)
- Orchestre métropolitain, Choeur de l'Opéra de Montréal
- Interprète(s)
- Ismael Jordi (Roméo), Marie-Ève Munger (Juliette), Hugo Laporte (Mercutio), Katie Miller (Stéphano), Alexandra Beley (Gertrude), Alexandre Sylvestre (Capulet père), Scott Brooks (duc de Vérone), Alain Coulombe (Frère Laurent), Sebastian Haboczki (Tybalt), Max Van Wyck (Gregorio), Rocco Rupolo (Benvolio), Nathan Keoughan (Paris)
- Mise en scène
- Tom Diamond