JFK - LE CAUCHEMAR AMÉRICAIN
PHOTO: Daniela Mack (Jacqueline Bouvier Kennedy (@Yves Renaud)
En voulant échapper aux biopics lyriques typiques des créations américaines des trente dernières années, le librettiste Royce Vavrek et le compositeur David T. Little ont créé un opéra fantasmagorique qui s’éparpille dans tous les sens. Proposition audacieuse qui a le mérite d’explorer de nouveaux territoires, mais qui, au final, ne satisfait pas pleinement, malgré la très grande qualité des forces créatrices réunies.
En imaginant les rêves, cauchemars et hallucinations d’un Kennedy sous l’effet de la morphine lors de sa dernière nuit, Vavrek tenait une idée prometteuse. Cependant, il s’est quelque peu perdu dans cet étalage de saynètes qui couvrent autant la sphère privée que publique du président américain, et qui fraient entre le vulgaire et le sublime. De plus, la fantasmagorie va jusqu’à faire côtoyer Jacqueline Kennedy avec Jacqueline Onassis, son double du futur, sans que cette rencontre offre quoi que ce soit d’intéressant (autre qu’un prétexte pour le plus beau passage musical de l’oeuvre). Dans ce tourbillon de références, les spectateurs peuvent légitimement perdre le fil.
À défaut d’être d’une pertinence constante, les hallucinations se succèdent à un rythme à tout le moins divertissant. L’acte III brise l’atmosphère en devenant nettement plus fataliste, démontrant un peu lourdement la mécanique du drame qui se prépare. Les références aux tragédies grecques sont omniprésentes dans cet opéra, en commençant par l’utilisation du choeur, mais aussi des trois fatalités allégoriques présentées dans le prologue et qui s’incarneront ensuite sous les traits d’une femme de chambre, d’un garde du corps et, ultimement, d’un tireur assassin. Une bonne idée dramatique – qui rappelle les trois Nornes du Crépuscule des dieux de Wagner – exploitée ici avec une incidence directe sur le drame et dans une interaction troublante avec les protagonistes.
Face à cette explosion narrative, le compositeur David T. Little a pu explorer une riche palette musicale, fortement ancrée dans l’imaginaire américain, allant de Copland à Ives, de la musique de film aux musicals de Broadway, tout en se permettant ici et là des passages aux conceptions musicales poussées et audacieuses. Car sous l’apparat d’une musique accessible, consonante et mélodique, Little ne tombe pas dans la facilité, usant parcimonieusement de superposition de plans sonores et de diverses techniques d’avant-garde qui répondent bien aux impératifs scéniques et dramatiques ; sa musique tente parfois même d’en faire un commentaire décalé. Assurément, il faudra tendre l’oreille aux prochaines créations de cet artiste doué.
Étrangement, les plus belles pages musicales sont confiées à Jackie Kennedy. Que ce soit dans son petit aria au début de l’acte I, dans le duo d’amour évoquant sa première rencontre avec John, dans le grand aria à la fin de l’acte II et dans le mémorable trio de l’acte III, ces épisodes sont assurément les plus grandes réussites de l’oeuvre et permettent à la mezzosoprano Daniela Mack de briller de tous ses feux. Malheureusement, le livret fait de John Kennedy un spectateur de sa propre destinée et, malgré un grand monologue à la fin de l’acte III, le personnage n’est en rien développé ou approfondi.
JFK, opéra à la musique plus réussie que le livret ? Ce ne sera pas une première dans l’histoire !
La distribution vocale était tout à fait adéquate, avec une mention spéciale à Talise Trevigne et Sean Panikkar qui, malgré leurs rôles de second plan, ont envoûté les spectateurs. La production scénique, au plateau tournant ingénieux, en donnait plein la vue avec une lecture vivante des délires présidentiels. Le regard du metteur en scène critiquait la société américaine (d’aujourd’hui et d’alors) tout en essayant de clarifier pour les spectateurs les rouages du livret.
Que retenir de JFK ? Que la destinée humaine est une tragédie ? Que diriger les États-Unis d’Amérique est une mission impossible ? Que l’image publique cache une réalité plus sordide ? « Qui trop embrasse mal étreint », dit l’adage…
JFK
Opéra de David T. Little en trois actes sur un livret de Royce Vavrek.
Co-production : Opéra de Montréal, Fort Worth Opera et American Lyric Theater
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 27 janvier 2018
- Direction musicale
- Steven Osgood
- Interprète(s)
- : Matthew Worth (John Fitzgerald Kennedy), Daniela Mack (Jacqueline Bouvier Kennedy), Katharine Goeldner (Jacqueline Onassis), Talise Trevigne (Clara Harris/Clotho), Sean Panikkar (Henry Rathbone/Lachesis), Daniel Okulitch (Lyndon B. Johnson), Cree Carrico (Rosemary Kennedy), Colin Judson (Nikita Khrushchev), l'Orchestre symphonique de Montréal et le Choeur de l’Opéra de Montréal
- Mise en scène
- Thaddeus Strassberger