Critiques

TOSCA AU ROYAL OPERA: UNE DISTRIBUTION MAGISTRALE!

TOSCA AU ROYAL OPERA: UNE DISTRIBUTION MAGISTRALE!

PHOTO: Adrianne Pieczonka
(@ Catherine Ashmore)

L’opéra Tosca de Giacomo Puccini est l’une de ces œuvres dont l’histoire simple et la structure claire sont susceptibles de séduire tout amateur d’art lyrique. Réussir une Tosca représente néanmoins un défi de taille, tant pour le chef d’orchestre que pour le metteur en scène, qui doivent apprivoiser un livret détaillé ainsi que les instructions de scène inscrites dans la partition. Ces éléments rendent quasiment impossible toute tentative d’actualiser et repenser le contexte – une Rome occupée pendant les guerres de Napoléon et la « revanche » des Bourbons – et de se demander en même temps si une proposition différente pourrait être faite.

C’est exactement mon point de vue sur cette neuvième production de Tosca, dont le Royal Opera House Covent Garden a confié la mise en scène à Jonathan Kent. Créée en 2006, cette production s’inscrit dans la durée, présentée sur scène presque chaque année, et a reçu des critiques mitigées. On peut affirmer que l’on est en présence d’une mise en scène fiable, qui laisse aux interprètes une grande liberté en leur demandant un jeu d’acteur conventionnel, afin de leur permettre de se concentrer sur le chant.

Sur le plan scénographique, Paul Brown propose un premier acte encombré, le chœur étant debout sur la partie supérieure de la scène pendant le Te Deum. Deux escaliers relient en outre l’église à la chapelle Attavanti où interagissent les principaux personnages. Au deuxième acte, le bureau de Scarpia se présente comme une pièce presque vide avec la table à dîner habituelle, des étagères quasiment dépourvues de livres et cette incontournable porte ouverte sur la chambre des tortures. Au troisième acte, l’espace est plus aride encore : seules quelques étoiles, la grande statue d’ange au sommet du castel Sant’Angelo, tenant lieu de décor, accompagnent notamment le grand air « E lucevan le stelle ».

Si ce choix est fidèle au livret, aide-t-il véritablement à construire la tension et à accentuer la force brutalement dramatique de la partition de Puccini ? Plus important encore, la proposition scénographique est-elle en harmonie avec les ondes sonores en provenance de la fosse ? À cet égard, le Maestro Dan Ettinger ne semble guère avoir prêté beaucoup d’attention à ce qui se passait sur scène et à la magistrale distribution réunie pour l’occasion. Tout au long de la performance, il semble avoir été plutôt à la recherche d’effets grandiloquents comme dans le Te Deum ou dans le crescendo du deuxième acte pendant l’affrontement de Tosca et Scarpia, noyant ainsi maladroitement les voix. Son choix incohérent de tempi alternant une vitesse excessive, comme dans le duo de l’acte final, et rythmes d’une grande lourdeur, ne pouvait que nuire au paroxysme dramatique. Même l’oasis de lyrisme serein décrivant l’aube romaine ressemblait à une page obscure où même le son des cloches semblait hors du temps ; je me suis demandée si le chef Ettinger était vraiment fait pour diriger la musique de Puccini.

Quant à la distribution, la soprano Adrianne Pieczonka avait la carrure dramatique requise pour le rôle-titre. Récusant l’image de la Tosca coquette et capricieuse, elle imprégnait son personnage d’une extrême humanité, le transformant en celui d’une femme forte dont l’amour pour Cavaradossi était tout aussi solide qu’acquis. Son registre inférieur régulier, combiné avec des notes de tête sans effort, et sa capacité à se faire entendre en dépit d’un orchestre jouant nettement trop fort, ont rendu sa prestation impeccable. Son contrôle étroit de cette tessiture étendue l’a malgré tout empêchée de s’abandonner totalement, comme on l’aurait attendu notamment dans la situation désespérée du duo avec Scarpia. Elle chanta par ailleurs le célèbrissime air « Vissi d’Arte » d’une manière exquise, mais il manquait cette agitation intérieure propre à l’âme torturée de Tosca.

À ses côtés, le ténor Joseph Calleja afficha son puissant registre médium avec un soupçon de fatigue vocale dans le haut passaggio. Ses premier et dernier airs, « Recondita armonia » et « E lucevan le stelle », ont démontré un usage approprié des dynamiques et du pianissimo, sans aucune trace du vibrato un peu rapide qui caractérisait parfois son interprétation d’autres rôles du répertoire lyrique. La clarté de sa belle sonorité italianisante a pu faire contrepoids à la direction controversée d’Ettinger, bien qu’il ait montré quelques difficultés dans l’air « La vita mi costasse » et les cris « Vittoria ! Vittoria ! » dans les notes suraigües.

Dans sa première prise de rôle en Scarpia, Gerald Finley s’est avéré un chef de la police convaincant. Le baryton, né à Montréal, a excellé dans le « canto di conversazione », l’une des signatures de Puccini. Des phrases simples comme « é arnese di pittore questo? » ou « saggia non è codesta ostinatezza vostra » ont révélé une diction parfaite, chaque mot étant chargé d’une malice et d’un sadisme mélodieux. L’être qu’il a incarné n’était ni méchant, ni grossier, mais un génie maléfique à multiples facettes suintant le venin à travers ses lignes et émissions vocales immaculées. Gerald Finley aura été en définitive, et sans effort apparent, un psychopathe manipulateur… au timbre de velours !

Tosca

Mélodrame de Giacomo Puccini en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de Victorien Sardou, La Tosca

Production
Royal Opera House
Représentation
Covent Garden , 3 février 2018
Chef de chœur
William Spaulding
Direction musicale
Dan Ettinger
Instrumentiste(s)
Orchestre et Chœur de la Royal Opera House
Interprète(s)
Adrianne Pieczonka (Floria Tosca), Joseph Calleja (Mario Cavaradossi), Gerald Finley (Baron Scarpia), Simon Shibambu (Angelotti), Jeremy White (Sacristain), Aled Hall (Spoletta) et Jihoon Kim (Sciarrone)
Mise en scène
John Kent
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