LES TROYENS - COLOSSALE AVENTURE DISCOGRAPHIQUE
« L’amour ne peut pas donner une idée de la musique, mais la musique peut en donner une de l’amour… Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme ». Ainsi écrivait Berlioz dans ses Mémoires. Ces mots reviennent nous hanter alors que nous écoutons cette œuvre.
On l’attendait, cette version des Troyens ! Porter au disque cet opéra de cinq actes est un projet monumental, et les enregistrements sont rarissimes : deux seulement depuis les 50 dernières années (Charles Dutoit/OSM [1994] et Sir Colin Davis/London Symphony Orchestra [2002]), conférant à l’entreprise le caractère d’un happening. Ce disque, issu de trois représentations devant le public strasbourgeois en avril 2017, réunit une distribution de rêve. Assurer la cohérence d’une fresque si vaste n’est pas une mince affaire ; le chef John Nelson réussit cet exploit.
Affectionnant particulièrement l’opéra, Berlioz avait presque toujours un projet lyrique en tête. Tel un leitmotiv, l’émotion se veut le fil conducteur de l’œuvre. Pour la mettre en relief, une attention aux détails assure qu’aucun moment ne soit inégal. Sans support visuel, la musique se voit confier une tâche colossale : souligner les changements de lieux, de situation, d’atmosphère. Elle y parvient en décuplant la puissance du livret. Berlioz, orchestrateur hors pair, fait appel à toutes les ressources orchestrales mobilisant près de 130 musiciens.
Et les chanteurs, qu’en est-il ? Choisir un moment de grâce s’avère difficile tant ceux-ci abondent. Marie-Nicole Lemieux en Cassandre est d’un magnétisme désarmant. C’est sur elle que repose la première moitié de l’œuvre, tandis que Joyce di Donato est le personnage central des trois derniers actes. Cassandre nous captive et transmet le sentiment d’urgence qui l’habite face à la menace pesant sur Troie. Elle démontre du leadership tandis qu’elle mène les femmes de Troie à la mort. À l’acte II, le duo Didon/Anna est fabuleux : on saisit le dilemme de Didon, fidèle à Sichée, mais souhaitant aimer encore. Le chœur des Troyennes de l’acte II est impressionnant. D’ailleurs, les chœurs sont très virtuoses. Berlioz leur fait la part belle : il n’y en a pas moins que trois !
Cassandre et Didon sont merveilleusement accompagnées par leurs pendants masculins. Chorèbe possède une superbe voix : le duo avec Cassandre au premier acte est désarmant. On retrouve un Énée en grande forme lors de sa première apparition. Philippe Sly en Panthée est totalement engagé tandis qu’il annonce à Énée que Troie brûle. L’air d’Iopas à l’acte II est magnifique : on y retrouve tout ce qu’il faut d’âme, d’implication artistique et d’engagement scénique pour transmettre la douceur du moment.
Soulignons également le « Nuit d’ivresse » de Didon et Énée. Tout en nuances et en douceur, il s’agit d’un véritable duo d’amour, et la chimie entre Di Donato et Spyres nous émeut. À l’acte V, Joyce di Donato en Didon reste captivante jusqu’à la fin. Tel un miroir, l’œuvre culmine avec un double suicide : celui de Cassandre à Troie, puis celui de Didon à Carthage. L’histoire débute par la guerre et se conclut en une histoire d’amour qui finit mal. Rage. Désespoir. Amour tendre. Tout y est, dramatiquement et vocalement.
Les Troyens
Opéra d'Hector Berlioz en cinq actes sur un livret de Hector Berlioz d'après les livres II et IV de L'Énéïde de Virgile
- Production
- Direction musicale
- John Nelson (Orchestre philharmonique de Strasbourg), Sandrine Abello (Les Chœurs de l'Opéra national du Rhin), Ulrich Wagner (Badischer Staatsopernchor) et Catherine Bolzinger (Chœur philharmonique de Strasbourg)
- Interprète(s)
- Joyce DiDonato (Didon), Michael Spyres (Énée), Marie-Nicole Lemieux (Cassandre), Stéphane Degout (Chorèbe), Nicolas Courjal (Narbal), Marianne Crebassa (Ascagne), Hanna Hipp (Anna), Cyrille Dubois (Iopas), Stanislas de Barbeyrac (Hylas) et Philippe Sly (Panthée) DM : John Nelson (Orchestre philharmonique de Strasbourg), Sandrine Abello (Les Chœurs de l'Opéra national du Rhin), Ulrich Wagner (Badischer Staatsopernchor) et Catherine Bolzinger (Chœur philharmonique de Strasbourg)