Critiques

UN CONCERT-CONCOURS OLYMPIQUE

UN CONCERT-CONCOURS OLYMPIQUE

PHOTO: Dominique Labelle (@ Lino Alvarez)

« Debussy et ses poètes », certes, mais aussi ses confrères ! Charles Widor, Gabriel Fauré, Gabriel Dupont, Reynaldo Hahn, Paolo Tosti, André Mathieu, Charles Kœchlin et Camille Saint-Saëns étaient aussi de la soirée pour mettre en musique plusieurs poèmes de Paul Verlaine principalement, de Théodore de Banville, Charles Baudelaire et Jules Barbier.

Quelle bonne idée de reprendre ainsi les mêmes poèmes mis en musique par différents compositeurs ! Présenté lundi soir à la salle Pollack, ce concert vocal, accompagné au piano par Michael McMahon, nous a permis de découvrir comment plusieurs compositeurs ont ressenti ces textes puis les ont enrichis chacun à leur manière d’une musique différente.

Nous avons ainsi entendu deux versions de Nuit d’étoiles de Théodore de Banville (Debussy et Widor). Par ailleurs, les mots de Paul Verlaine auront inspiré nombre de compositeurs puisqu’il nous a été donné de découvrir avec plaisir quatre compositions autour de Mandoline (Fauré, Debussy, Dupont, Hahn), deux approches de Colloque sentimental selon Debussy puis André Mathieu, trois interprétations d’Il pleure dans mon cœur composées successivement par Fauré, Debussy et Kœchlin, deux Clair de Lune comme autant de En sourdine de Debussy et Fauré. Décidément, ces deux-là appréciaient les mêmes lectures, mais ne les entendaient pas de la même manière.

 

Le défi du chant français

Inscrit dans la programmation « Schulich en concert » de l’Université McGill, ce concert mené par les professeures Dominique Labelle, soprano, et Annamaria Popescu, mezzo-soprano, faisait partie des épreuves imposées aux étudiants de l’École de musique Schulich pour l’obtention de leur diplôme respectif, rappelons-le. Ainsi, ces dix jeunes professionnels ont placé la barre haute et l’ont tous atteinte malgré des musiques choisies parfois plus rudes, certaines moins mélodieuses à l’oreille, qu’il leur fallait porter et défendre. 

Si l’on s’accommode sans peine à entendre l’italien ou l’allemand en art lyrique, il n’en semble pas de même avec le français exigeant une prononciation qui semble parfois ardue parce qu’elle mélange les sons graves et aigus qui voyagent entre la gorge et le nez, tout en mêlant des sonorités latines et saxonnes qui obligent une articulation maxillo-faciale plus complexe. Tout un défi quand on doit chanter, articuler et musicaliser l’ensemble en y mettant l’expressivité nécessaire !

 

Le courage des débutants

Je pense au haute-contre Olivier Benoist dont le premier Mandoline (Fauré) ne lui fut pas aisé, alors que son interprétation du second (Dupont) démontrait la qualité de son timbre particulier et des capacités vocales en développement certain. Bravo ! 

Ouvrant la soirée avec aisance, la voix de la soprano Sevan Kochkarian a ravi la salle, notamment par son interprétation de la Nuit d’étoiles de Widor. Malgré un bémol quant à la prononciation, le public a apprécié la voix claire, distincte et projetée de la soprano Brittany Rae lors de ses interprétations de Colloque sentimental, notamment la partition joliment écrite d’André Mathieu. La soprano Charlotte Siegel a su tirer son épingle du jeu en offrant une prestation vocale fort bien équilibrée de Clair de Lune (Fauré) malgré tous les pièges de cette œuvre (jeu, interprétation, prononciation, etc.).

Des barytons-basses à suivre 

Jean-Philippe Lupien a porté la dernière version d’Il pleure dans mon cœur (Kœchlin) avec courage. Il a un potentiel intéressant : la voix était là, l’expressivité du texte bien rendue, malgré le trac qui semblait l’étreindre. Or, présenter un air en public lors d’un concert qui sanctionne vos études est loin d’être chose facile. Chacun de ces jeunes chanteurs a su trouver au fond de lui-même l’assurance pour y parvenir, on ne peut que les en féliciter.

Jean-Philippe Mc Clish nous a « bluffés » par sa prestance vocale et son expressivité juste d’Il pleure dans mon cœur (Fauré) : sa voix chaude et ronde, dans les aigus comme dans les graves, traversait la salle sans encombre. Cette aisance vocale et scénique qui lui permettait de jouer sa pièce ; on a pu l’apprécier lors de l’amusant duo final El desdichado de Camille Saint-Saëns et Jules Barbier avec la soprano Dominique Labelle.

 

Montrer la voie…

À la fin de chaque partie, Dominique Labelle a montré la voie à ses élèves par son interprétation à la fois sensible et puissante de cinq poèmes de Baudelaire, grâce à une voix bien enracinée qui, même en pianissimo, assure une présence scénique sans faille.

Deux bémols toutefois : elle a présenté le concert exclusivement en anglais, alors qu’on proposait un programme de chants et de compositeurs français. De plus, un programme reproduisant les textes des poèmes accompagnés d’une traduction anglaise aurait été le bienvenu pour pallier la prononciation parfois défaillante du français chanté.

Debussy et ses poètes

Œuvres de Debussy, Widor, Fauré, Dupont, Hahn, Tosti, Mathieu, Kœchlin et Saint-Saëns sur des poèmes de Verlaine, Baudelaire, Barbier et de Banville.

Production
École de musique Schulich de l'Université McGill
Représentation
Salle Pollack , 19 février 2018
Interprète(s)
Dominique Labelle (soprano), Annamaria Popescu (mezzo-soprano), Sevan Kochkarian (soprano), Nicole Burke (soprano), Audrey-Anne Asselin (soprano), Brittany Rae (soprano), Sarah Dufresne (soprano), Charlotte Siegel (mezzo-soprano), Sarah Bissonnette (mezzo-soprano), Olivier Benoît (haute-contre), Jean-Philippe Lupien (baryton-basse), Jean-Philippe Mc Clish (baryton-basse)
Pianiste
Michael McMahon
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