Critiques

ANATOMIE D'UNE OBSESSION QUI VIRE AU CAUCHEMAR

ANATOMIE D'UNE OBSESSION QUI VIRE AU CAUCHEMAR

PHOTO: Ian Bostridge
(@ Sim Canetty-Clarke)

« Pour le connaisseur, le Voyage d’hiver est un des moments forts de toute saison de concerts qui le mettrait au programme, un moment austère certes, mais qui touche à l’ineffable et retourne le cœur. » Ces mots ont été écrits par Ian Bostridge lui-même, dans son essai Schubert’s Winter Journey: Anatomy of an Obsession, et mis en exergue dans les livrets distribués au public. Le ténor anglais ne croyait pas si bien dire en se présentant sur la scène de la salle Bourgie.

 Ce fut incontestablement un moment fort. D’abord par la présence de l’un des chanteurs les plus demandés et recherchés dans le répertoire des lieder et des œuvres en anglais. Ensuite par l’interprétation d’Ian Bostridge, par son incarnation du personnage schubertien qui entreprend ce fameux « voyage d’hiver ». Au risque de se confondre avec lui.

L’atmosphère était pesante, ne serait-ce que par les mots lancinants qui parcourent les vingt-quatre lieder : « Je suis seul », « Je veux / je vais mourir ». À ce pathos s’ajoutait l’équilibre fragile du ténor, sa tête baissée, sa voix accablée, son regard vide. Dans de telles conditions, produire un son aussi puissant et maîtrisé relève du miracle ! Et le miracle eut lieu. Dès les premières notes du « Gute Nacht », sa voix nous emportait dans ce voyage musical d’une heure et quelques minutes, au gré des espoirs et des douleurs de l’être. Le tout paraissait néanmoins excessif, notamment les effets dramatiques surjoués qui étaient de nature à déconcentrer l’auditoire dans son écoute sérieuse de l’œuvre.

La posture et l’attitude de Bostridge face au public faisaient-elles partie d’une mise en scène ? Certainement oui, mais trop souvent les limites de ce que l’on peut et ne peut pas faire sur scène ont été franchies. Tant et si bien que lorsque le chanteur quitte la scène, les spectateurs ne sont qu’à moitié étonnés, l’ayant déjà vu leur tourner le dos, les mains posées sur le rebord du piano. Visiblement en déperdition, le chanteur est revenu pour interpréter le vingtième lied. Trop fragile sur ses jambes, il s’était assis sur le tabouret servant à poser son verre d’eau.

Et puis, Bostridge s’en est allé pour de bon, laissant au pianiste la difficile tâche d’annoncer la fin prématurée du concert. Pas une parole, pas une explication de sa part, mais une ressemblance troublante avec le personnage errant du cycle de Schubert.

Le Voyage d'hiver de Franz Schubert

Production
Fondation Arte Musica
Représentation
Salle Bourgie , 12 février 2018
Interprète(s)
Ian Bostridge
Pianiste
Julius Drake
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