LE GOÛT DU RISQUE
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Julian Prégardien
(@Marco Borggreve)
Julian Prégardien avait fait une forte impression en interprétant l’Évangéliste de la Passion selon Saint Mathieu avec l’OSM, en décembre 2016. Pour ses retrouvailles avec Montréal, le ténor allemand nous a déconcertés un peu, du moins dans la première partie du concert, consacrée à Bach. Par moments, Prégardien semblait ne pas contrôler sa voix à la perfection, comme il l’avait fait à l’OSM. Mais, assez rapidement, il nous est apparu que la perfection n’était pas ce qu’il recherchait.
Pour donner toute leur intensité aux élans dramatiques de l’aria « Seht, seht! Wie reisst, wie bricht, wie fällt » (tiré de la cantate Ich hab in Gottes Herz und Sinn, BWV 92), ou aux vocalises de « Ich will nur dir zu Ehren Leben » (de la cantate Fallt mit Danken, fallt met Loben, BWV 2481/4), le ténor prend des risques, en se lançant dans des phrases très longues et en s’obstinant à faire des nuances très fines. Il se retrouve ainsi parfois à la limite de la justesse, surtout dans certains pianissimos, mais on admire l’artiste audacieux de tant oser, si bien qu’au final, il emporte l’adhésion.
Dans la seconde partie, consacrée à Britten, on s’émerveille tout autant du chef d’orchestre : Jean-Marie Zeitouni a l’art de créer des programmes de concert, qu’il compose amoureusement comme des tableaux savamment contrastés. Prenant la parole après l’entracte, il nous explique pourquoi il dispose ses musiciens debout en demi-cercle : pour qu’on visualise bien les entrées successives des dix-huit interprètes du Prélude et fugue de Britten. L’effet est pleinement réussi, on voit vraiment le sujet de la fugue aller et venir devant nous.
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La Sérénade pour ténor, cor et cordes, qui réunit des poèmes de plusieurs époques, choisis par Britten pour illustrer différents moments de la nuit, trouve Julian Prégardien au sommet de son art. Prenant cette fois le risque de l’émotion, il offre une fusion parfaite de la parole et du chant, particulièrement bouleversante dans la cinquième pièce (« Dirge/Chant funèbre »), mais aussi souriante dans la « Pastorale », ou déchirante dans l’« Élégie ».
En rappel, Zeitouni, génial programmateur jusqu’au bout, propose Now Sleeps the Crimson Petal, dans son arrangement pour cor et ténor. Ne faisant partie d’aucun cycle, cette mélodie trouve ici une rare occasion d’être entendue, dans l’interprétation – parfaite – de Prégardien.
Prégardien : de Bach à Britten
Œuvres de Jean-Sébastien Bach et Benjamin Britten
- Production
- Orchestre de chambre I Musici de Montréal
- Représentation
- Salle Bourgie , 27 novembre 2017
- Direction musicale
- Jean- Marie Zeitouni
- Instrumentiste(s)
- Julian Prégardien (ténor), Jennifer Montone (cor)
- Interprète(s)
- Orchestre de chambre I Musici de Montréal