Critiques

DES CARMÉLITES EN DIALOGUE

DES CARMÉLITES EN DIALOGUE

(Photo: @ Yves Renaud)

Les bonnes soeurs regagnent indubitablement en intérêt. Sur le grand écran, il y a eu La Passion d’Augustine en 2015, suivi de près par Les Innocentes en 2016. Dans les journaux, on a pu lire Josée Blanchette, journaliste et chroniqueuse québécoise, admirer soeur Violaine Paradis, les Marcellines et les Augustines de Québec. On perçoit un désir de réhabiliter et réhumaniser ces femmes si éloignées des idoles de notre société et Josée Blanchette parle, par exemple, d’un « monastère pas austère », de « femmes d’affaires et de coeur », de « mission de tendresse », etc. Il est difficile de ne pas voir de liens entre cette redécouverte des catholiques voilées avec le débat autour des autres femmes voilées, les musulmanes. La scène de La Passion d’Augustine où les soeurs sont poussées, par souci de modernité, à changer d’habit a dans ce contexte des résonnances particulièrement fortes, ainsi que le passage des Dialogues des Carmélites où le Commissaire révolutionnaire les force à « s’habiller comme tout le monde ». À ce moment de l’opéra, dans la mise en scène réalisée par Serge Denoncourt, les religieuses enlèvent leurs voiles et leurs tuniques noires pour ne rester qu’avec la robe blanche dans laquelle elles mourront guillotinées (faits réels, qui remontent à 1794). Cette robe blanche incarne les principales qualités de la magnifique nouvelle production (entièrement québécoise et canadienne) de l’Opéra de Montréal : unité, clarté, intimité, simplicité.

Marianne Fiset et Magali Simard-Galdès (@ Yves Renaud)

Unité : Les Carmélites de Compiègne, dans leur robe blanche les rendant identiques, ne perdent pas leur identité de communauté – un lien spirituel renforcé par leur voeu du martyre. Denoncourt met en scène cette communauté dès le début : toutes les soeurs sont présentes à l’arrivée de Blanche, une Marianne Fiset extraordinaire ; elles participent ensemble à l’activité de repassage des draps pendant le duo entre Blanche et Constance, celle à la voix et au jeu impeccables de Magali Simard Galdès puis, elles constituent un périmètre de prière à la mort de la prieure, jouée par Mia Lennox qui aurait pu être plus envoûtante – mais peut-être est-ce un problème d’acoustique. C’est précisément le moment où la communion silencieuse devient chant choral – l’Ave Maria – qui est choisi comme point central du spectacle : la prière conclut la première partie et est répétée à la réouverture du rideau, ce qui crée un niveau d’unité supérieur.
Clarté : La scène finale se joue sur l’opposition clarté/noirceur : les Carmélites condamnées à mort sont des points de lumière qui s’éteignent au fur et à mesure que la guillotine les coupe de ce monde. Plus généralement, la clarté semble être l’objectif principal de ces Dialogues, véritable théâtre musical où la parole est au centre alors que parfois on oublie que les personnages chantent, excepté Marie-Josée Lord, une nouvelle prieure trop lyrique pour ce contexte de déclamation dans lequel, au contraire, l’impérieuse Mère Marie d’Aidan Ferguson excelle : on prend le temps de respirer, de souligner certains mots, de séparer les phrases. Voici réalisé superbement le recitar cantando que Poulenc déclarait avoir cherché dans Monteverdi, soutenu par un orchestre qui suit, souple comme un tapis, l’action verbale, dirigé merveilleusement par Jean-François Rivest.
Intimité : La robe blanche n’est que le sous-vêtement des soeurs. Elles se déshabillent, dans les faits, devant les soldats et l’ordre de « s’habiller comme tout le monde » en devient pratiquement un viol. La carte de l’intimité est par ailleurs introduite dès la première scène : Monsieur de la Force (un Gino Quilico défaillant dans le registre aigu) réconforte sa fille dans ses bras, et son fils, Antoine Bélanger qui offre une magnifique synthèse de technique et d’expressivité, a une attirance physique envers Blanche, sa soeur. Leur grand duo d’adieu est un véritable duo d’amour verdien, ce que la mise en scène rend explicite par un inceste qui, sinon justifié par le livret, l’est pleinement par la musique.
Simplicité : Rien de plus simple qu’une robe blanche. Avec le recul, on comprend qu’un avatar de cet habit a été présent tout au long de l’opéra sous la forme des rideaux semi-transparents qui dominent la scène (sinon vide ou presque). Une simplicité qui permet de faire abstraction de tout élément trop connoté historiquement et de réaliser ainsi un spectacle qui nous plonge hors du temps, démontrant que l’actualisation n’est pas toujours nécessaire pour faire réfléchir aux enjeux liés à un fait historique.

Dialogues des Carmélites

Opéra en trois actes et douze tableaux de Francis Poulenc sur un livret du compositeur d’après
Georges Bernanos et Emmet Lavery

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Wilfrid-Pelletier , 28 janvier 2017
Direction musicale
Jean-François Rivest, Orchestre symphonique de Montréal, Choeur de l’Opéra de Montréal
Interprète(s)
Marianne Fiset (Blanche de la Force) ; Marie-Josée Lord (Madame Lidoine) ; Aidan Ferguson (Mère Marie de l’Incarnation) ; Mia Lennox (Madame de Croissy) ; Magali Simard-Galdès (Soeur Constance de Saint-Denis) ; Gino Quilico (Le Marquis de la Force) ; Antoine Bélanger (Le Chevalier de la Force)
Mise en scène
Serge Denoncourt
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