Critiques

LA MORT EN MIROIR

LA MORT EN MIROIR

PHOTO: Suor Angelica : Gianna Corbisiero
(@ Louise Leblanc)

En ouverture de sa saison 2016-2017, en octobre, l’Opéra de Québec présentait deux des trois volets du Tryptique de Puccini, soit Suor Angelica et Gianni Schicchi. 

À première vue, le programme mettant à l’affiche un drame tout en délicatesse retenue (Suor Angelica) et une grosse farce menée à train d’enfer (Gianni Schicchi) semble annoncer une soirée complètement décousue… Et pourtant, ces deux derniers volets du Trittico de Puccini ont comme thème commun la mort, les deux se répondant en miroir ; l’un tendant inexorablement vers la mort qui en ponctue la fin, l’autre s’ouvrant sur une mort dont on s’éloigne à toute vitesse dans un grand éclat de rire. 

Ce fil conducteur est d’ailleurs renforcé par les décors d’Eric Renschler (pour le Chautauqua Opera). Bien qu’ils soient hyperréalistes et un peu convenus, ces décors se transforment d’un opéra à l’autre à partir de la même base. En effet, l’austère cour du cloître s’épanouit en un appartement florentin on ne peut plus kitsch et qui a l’air d’être directement sorti d’un film comique italien d’après-guerre. 

Soutenu par des choeurs d’une belle pureté et une distribution pourtant solide, et cela, même pour les rôles secondaires, tels que soeur Genovieffa (Judith Bouchard) et soeur Osmina (Marie-Andrée Mathieu), Suor Angelica n’arrive cependant jamais à nous faire vivre de réels grands moments d’émotion sur le plan vocal. Pour cette troisième représentation, par exemple, la voix de Sonia Racine semble fatiguée et, malgré un « Senza mamma » réussi et poignant, Gianna Corbisiero est parfois trahie par un manque de dynamique, entre autres dans le pianissimo, et le drame de son personnage ne se révèle pas aussi déchirant qu’il devrait l’être. 

Gianni Schicchi, de gauche à droite : Dominic Veilleux, Geneviève Lévesque, Carole Cyr, Marie-Michèle Roberge, Steeve Michaud et Gregory Dahl (@Louise Leblanc)

Dans Gianni Schicchi, en revanche, tout le monde est au poste, et deux fois plutôt qu’une, même si l’opéra bouffe ne commande évidemment pas la même qualité vocale qu’exige un opéra dramatique. Le toujours excellent Gregory Dahl, en plus de sa voix magnifique et de son impeccable diction, nous y dévoile un instinct comique sûr et d’une précision sans faille. Il faut le voir jouer la fausse modestie taquine quand Nella, Zita et La Ciesca le prennent littéralement en main pour le déshabiller et lui passer la chemise de nuit du mort (« Spogliati, bambolino »). Steeve Michaud, lui, utilise à plein rendement sa très belle voix de lyrico-spinto, ronde, souple, aux aigus claironnants, et propose un Rinuccio florissant et poussant la note, très « chanteur napolitain »… même si l’action se déroule à Florence. On est loin de lui en vouloir. C’est charmant. Enfin, l’air « O mio babbino caro » de la jeune Audrey Larose Zicat aurait pu avoir un peu plus de caractère, mais la force et la qualité du reste de cette distribution d’ensemble fait qu’on l’oublie presque… 

En ce qui concerne la mise en scène, Michael Cavanagh nous fait passer de très beaux moments dans Suor Angelica qu’il a voulu moins solennel et guindé qu’on peut parfois le voir représenté, préférant un « sage » désordre, plus vivant et ponctué ici et là de petites touches d’humanité d’une grande sensibilité. Mais c’est dans Gianni Schicchi qu’il donne sa pleine mesure dans une mise en scène soigneusement chorégraphiée, vraiment réglée au quart de tour et ponctuée de clins d’oeil absurdes très modernes. Fort heureusement, l’Orchestre symphonique de Québec, qui, sous la direction de Joseph Rescigno, était tout en énergie contenue dans Suor Angelica, parvient à suivre le rythme d’enfer de ce dérapage contrôlé, prenant soin de ne pas escamoter ni de trop souligner les effets comiques de la partition au détriment de l’impeccable « sens du timing comique » dont Puccini fait preuve ici. 

Suor Angelica et Gianni Schicchi

Opéras en un acte de Giacomo Puccini, livrets de Giovacchino Forzano

Production
Opéra de Québec
Représentation
Grand Théâtre de Québec , 27 octobre 2016
Direction musicale
Joseph Rescigno, Orchestre symphonique de Québec, Choeur de l’Opéra de Québec
Interprète(s)
SUOR ANGELICA : Gianna Corbisiero (Soeur Angelica) ; Sonia Racine (La princesse) ; Andrée- Anne Laprise (L’abbesse) ; Geneviève Lévesque (La soeur zélatrice) ; Priscilla‑Ann Tremblay (La maîtresse des novices) ; Judith Bouchard (Soeur Genovieffa) ; Marie‑Andrée Mathieu (Soeur Osmina) ; Claire Pascot (1re soeur tourière) ; Élaine Rioux (2e soeur tourière) ; Evelyne Larochelle (1re soeur converse) ; Véronik Carrier (2e soeur converse) ; Carole-Anne Roussel (Une novice) - GIANNI SCHICCHI : Gregory Dhal (Gianni Schicchi) ; Audrey Larose Zicat (Lauretta) ; Steeve Michaud (Rinuccio) ; Geneviève Lévesque (Zita) ; Eric Thériault (Gherardo) ; Marie‑Michèle Roberge (Nella) ; Marie-Louise Duguay (Gherardino) ; Marcel Beaulieu (Betto) ; Robert Huard (Simone) ; Dominic Veilleux (Marco) ; Carole Cyr (La Ciesca) ; Marc‑André Caron (Le notaire) ; Manuel Provençal (Le docteur) ; Michel Cervant (Le cordonnier) ; Patrick Brown (Le cordonnier)
Mise en scène
Michael Cavanagh
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