TÊTE D'AFFICHE - Ian Bostridge
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Photographie: Sim Canetty-Clarke
L’idée de présenter un programme de lieder moins connus de Schubert n’est pas anodine : elle s’inscrit dans la visée de la Salle Bourgie de présenter l’intégrale des 600 lieder du célèbre compositeur autrichien, une première au Canada. Ce projet, qui a débuté avec le concert d’ouverture de la saison 2024-2025, se poursuit ici avec un expert agréé du répertoire.
Ian Bostridge explique en entrevue qu’il prépare ce genre de programme avec l’idée d’émuler un cycle de mélodies tel qu’il était conçu par les compositeurs romantiques : des pièces qui n’ont pas nécessairement de lien narratif, mais qui doivent quand même être chantées dans un ordre précis, en raison de l’atmosphère affective, d’une idée musicale qui se répète d’une pièce à l’autre, ou de la nature du texte. Chaque lied conduit ainsi au prochain. Dans le programme prévu à la Salle Bourgie, on peut entendre un cycle musical déterminé en majeure partie par les textes poétiques, qui abordent des sujets récurrents dans la mélodie romantique allemande tels la nature, le grand air, la liberté et la solitude, mais également l’amitié. Par exemple, entre An die Freunde et Das Lied im Grünen, deux lieder qui seront chantés vers la fin du concert, Ian Bostridge souligne qu’il y a une progression remarquable des ténèbres vers la lumière. Le premier lied, marqué par un ostinato d’une note grave et sombre au piano, s’adresse aux amis de l’interprète à qui il demande de l’enterrer loin de tout dans une forêt, et le deuxième célèbre l’amitié et la beauté du printemps sur une mélodie répétitive, quasiment hypnotique. Ainsi, le choix des pièces et leur ordre n’est pas déterminé au hasard : le cycle est pensé en fonction de la progression de plusieurs idées musicales et poétiques qui s’enchevêtrent.
Les poètes ayant composé les textes qui ont inspiré la musique de Schubert sont également part intégrante de la conception du programme. La première partie du concert débute avec cinq poèmes de Johann Gabriel Seidl, qui figure d’ailleurs dans le dernier cycle de chansons de Schubert publié posthumément, Schwanengesang. Le sixième lied, Die Perle de Johann Georg Jacobi, sert de pivot, un concept introduit par Francis Poulenc qui a lui aussi écrit de grands cycles de mélodie. Le pivot amorce une transition entre deux atmosphères musicales et amortit en quelque sorte le choc, car les quatre pièces qui closent la première partie, écrites par Johann Baptist Mayrhofer, Walter Scott et Philip Adam Storck sont beaucoup plus percussives ; les deux dernières possèdent un rythme dansant qui évoque même l’époque médiévale.
En constatant le temps qui passe, Ian Bostridge réalise l’évolution de son rapport à Schubert et à sa musique. Ses premiers enregistrements produits dans les années 1990 témoignent d’une innocence et d’une légèreté propres à la jeunesse, mais l’expérience qu’il a acquise teinte aujourd’hui son jeu ; il s’est fait dire récemment par un membre du public qu’il chantait Die schöne Müllerin comme s’il racontait un roman policier ! « Schubert a pour moi quelque chose d’incroyablement personnel, humain et touchant ; mon appréciation de lui se sublime au fil des années », ajoute-t-il avec une pointe de nostalgie.
Le ténor sera accompagné par nul autre que Julius Drake, pianiste et ami avec qui la collaboration remonte à plus de 30 ans ; ils se sont d’ailleurs rencontrés l’année de son mariage! Le ténor décrit son lien avec Drake comme étant quasi fusionnel : « nous respirons ensemble », déclare-t-il en parlant de leurs dernières performances scéniques. Ce concert promet un voyage musical inédit au Québec, à travers des lieder qu’on n’entend que rarement, et teinté de la conception musicale d’un grand amoureux de Schubert.
Pour consulter le programme du concert d’Ian Bostridge et de Julius Drake à la Salle Bourgie, c’est ici.