RÉTROSPECTIVE - Le Messie d’Haendel
C’est à l’aube de l’année 1794 que les premiers extraits du Messie d’Haendel se font entendre au Québec, lors d’une célébration organisée dans la capitale de la province le 30 décembre en vue du début de la nouvelle année. Sans grande surprise, on retrouve le grand chœur « Hallelujah » parmi les extraits présentés, de même que « Comfort Ye My People », « He Shall Feed his Flock » et « Lift Up Your Heads, O Ye Gates » (The Quebec Gazette, 26 décembre 1793, p. 3). Toutefois, il faudra attendre l’année 1857 pour que l’oratorio soit exécuté en version complète en sol québécois, à l’occasion des festivités de Noël.
Dès le 2 septembre 1857, on annonce dans le Morning Chronicle and Commercial Shipping Gazette (p. 2) que le Messie sera interprété le 24 décembre suivant. Un auteur inconnu signe dans le même quotidien deux jours plus tard un article dans lequel il mentionne son souhait que cette première tentative de présenter l’oratorio à Québec soit fructueuse, confirmant ainsi qu’il s’agit bel et bien d’une création québécoise. On publicise finalement le 4 novembre suivant l’événement comme une grande performance réunissant un orchestre complet, et au cours de laquelle Le Messie sera interprété entier.
Afin de bien préparer le public à l’audition de l’œuvre, un article descriptif présentant le Messie morceau par morceau est publié dans The Quebec Gazette le 21 décembre 1857 (p. 2), soit quelques jours seulement avant la première représentation. Chaque section du livret est présentée en détail et mise en relation avec certains airs de l’oratorio, ce qui fournit plusieurs clés de compréhension fort probablement indispensables à la réussite d’une première interprétation de l’œuvre.
Au lendemain de la première, on apprend dans une critique publiée dans The Quebec Mercury que la création québécoise du Messie a fait salle comble au Lecture Hall sur la rue Sainte-Anne à Québec. La direction musicale a été assurée par Henry Carter au piano, de même que par un certain M. Ross qui s’est, pour sa part, chargé de l’orchestre. Selon cette critique des plus élogieuses, il semble que la représentation ait été un véritable succès. L’auteur rapporte que de fortes émotions se sont emparées de la salle au moment où les interprètes ont chanté l’« Hallelujah » : dès le début de l’air, le public s’est d’un seul coup levé. Un autre compte-rendu publié dans The Quebec Gazette le 28 décembre va dans le même sens, précisant que l'auditoire avoisinait les 600 personnes lors de la première. L’auteur de l’article incite également son lectorat à aller assister à la prochaine représentation, en décrivant l’œuvre comme non moins que sublime. « L’oratorio complet sera, nous sommes heureux de l’apprendre, répété mercredi soir prochain, et nous recommandons à tous les connaisseurs, critiques, et à tous ceux qui souhaitent comprendre plus profondément le terme “Musique” qu’ils l’ont fait jusqu’à présent, de réserver des billets […] et de bénéficier de cette sublime composition musicale » (p. 2, traduction libre), avance le critique. Le Messie a donc, semble-t-il, fait une entrée remarquée dans le répertoire musical québécois, et se taille depuis plus de 150 ans une place parmi les œuvres sacrées les plus souvent interprétées dans les salles de concert du Québec.
L’un des constats intéressants se dégageant de ce survol journalistique entourant la première québécoise du Messie est l’absence de sources francophones traitant de l’événement. En effet, tous les quotidiens recensés qui ont abordé cette création sont des quotidiens anglophones, et aucune mention n’a été retrouvée à propos de cette première dans un journal francophone. Qu’est-ce qui explique ce curieux phénomène ? Quelques hypothèses offrent des pistes de réflexion intéressantes à ce propos, parmi lesquelles le fait que le livret de l’oratorio est originalement en anglais. Cela permet une immersion beaucoup plus facile pour la population anglophone, qui saisit d’emblée la portée du message soutenu par l’œuvre. Puisqu’un oratorio se distingue d’autres types de compositions vocales entre autres par l’importance qui est accordée à son texte, il est certain que l’expérience de l’œuvre est plus totale lorsque cette dernière est interprétée dans la langue vernaculaire de l’auditoire. Il est néanmoins très fort probable qu’une partie du public ayant assisté à l’une des représentations était francophone ; il n’existe cependant aucun compte-rendu pour l’attester.
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