Articles

TÊTE D’AFFICHE - Barbara Hannigan

TÊTE D’AFFICHE - Barbara Hannigan

Photographie : Cyrus Allyar

Dans cette mouture de La voix humaine qu’elle a elle-même conçue à l’aide du vidéographe Denis GuéguinBarbara Hannigan porte à la fois les chapeaux d’interprète lyrique et de cheffe d’orchestre; elle chante ainsi cet opéra de Poulenc tout en faisant face à l’ensemble. Des camérasdisposées parmi les instrumentistes, assurent une captation de la cheffe qui est diffusée en temps réel sur grand écran, permettant ainsi au public de voir l’interprétation dramatique d’Hannigan« Ce spectacle consiste en une immersion totale, un Gesamtkunstwerk, et je ne sais pas si j’aurai l’occasion un jour de revivre une telle expérience », mentionne la soprano en décrivant sa démarche.

Questionnée sur la genèse de ce projet novateur, Hannigan confie que l’idée lui est apparue alors qu’elle participait à sa toute première production de La voix humaine, au Palais Garnier en 2015. Elle y incarnait le personnage d’Elle, seule protagoniste de l’opéra, qui raconte au téléphone une rupture amoureuse. « J’ai réalisé que cet opéra se transposerait de façon idéale à un concept plutôt étrange : celui d’un personnage qui contrôle absolument tout », explique la sopranoEn effet, puisque l’auditoire n’a qu’une seule partie de cette conversation téléphonique, c’est Elle qui contrôle le récit et c’est cette idée d’étendre la notion de contrôle de la simple histoire à tous les paramètres de l’opéra qui a séduit HanniganC’est donc la figure même de cheffe d’orchestre qui incarne le personnage, et l’orchestre fait activement partie de la mise en scène puisqu’il est en relation constante avec elle.

Une telle démarche a d’ailleurs poussé Barbara Hannigan à faire des recherches en ce qui a trait à la gestuelle de direction. Puisqu’il faut à la fois diriger la musique et convier la dramaturgie du personnage, la cheffe doit sortir du cadre habituel : « Parfois, mon downbeat est un coup de poing. À d’autres moments, je donne les temps en faisant des rotations rapides avec mes mains! Cela ajoute une couche de sous-texte à l’œuvre »raconte-t-elle. Elle adapte donc sa direction en fonction du livret, faisant de sa gestuelle une sorte de chorégraphie dont certains mouvements restent semblables d’une représentation à l’autre. Cet aspect est essentiel pour que le projet fonctionne : il faut que les instrumentistes de l’orchestre aient quelques points de repère pour que le spectacle puisse être prêt dans les délais. 

Lors de son entretien avec L’Opéra en 2023 dont un extrait est disponible iciHannigan abordait toute la complexité qui émane d’une démarche  elle occupe le double rôle de soliste et de cheffe. Cela exige une préparation importante, tant de sa part que du côté des instrumentistes. Dans le cadre de La voix humaine, pour assurer le bon déroulement des trois ou quatre répétitions allouées aux ensembles avec lesquels elle travaille, la soprano a par exemple pris soin d’annoter la partition de chaque instrumentiste en y indiquant certains gestes particuliers de sa chorégraphie de direction, en plus d’apprendre la partition complète de l’œuvre qu’elle doit diriger de mémoire. « C’est très demandant, c’est comme pratiquer un sport extrême! », décrit HanniganC’est néanmoins ce qui assure la réussite de ce projet qui lui tient tant à cœur. 

Bien que la production ait été faite déjà à quelques reprises depuis sa création en 2021 à Paris, Hannigan soutient que le spectacle évolue à chaque représentation. Les nombreuses interprétations qui peuvent être tirées du livret de l’opéra permettent de constamment renouveler la façon de jouer le personnage, afin de mettre en valeur des émotions différentes. « La performance que je vais livrer le 22 février sera assurément différente de celle du 21 février. Et celle du 21 février sera différente de la générale! », soutient la cheffe d’orchestre. Cette nouveauté constante anime et pousse la soprano qui, d’ordinaire, aime diversifier ses projets, à faire puis refaire ce spectacle à travers le monde. « De cette façon, l’œuvre est en un constant état de vie », conclut-elle.  

Le programme sera complété par Metamorphosen de Richard Strauss, œuvre que la cheffe d’orchestre qualifie « d’opéra pour orchestre à cordes ». Composée au lendemain de la Seconde Guerre mondialel’œuvre partage avec La voix humaine ce sentiment profond de perte, cette nostalgie et cette mélancolie véhiculés par le livret de Poulenc. 

Envie de lire l’entretien complet avec Barbara Hannigan paru dans le 32e numéro de L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique? Procurez-vous une copie de ce numéro juste ici.


Partager: