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CONFÉRENCE - Journée d’étude « Musique, identité et partage des traditions : Rencontre Québec et Pays basque »

CONFÉRENCE - Journée d’étude « Musique, identité et partage des traditions : Rencontre Québec et Pays basque »

Tenue dans le cadre de l’édition 2023 du Festival Montréal/Nouvelles Musiques, cette journée d’étude a rassemblé dans la salle Jacques-Hétu de l’Université du Québec à Montréal près d’une trentaine de curieux et de curieuses. L’événement, conjointement organisé par la Chaire de recherche du Canada en création d’opéra et la Chaire de recherche du Canada en musique et politique, accueillait au cœur de sa programmation une délégation de cinq représentants du Centre Supérieur de Musique du Pays Basque Musikene (Saint-Sébastien, Espagne), ainsi que trois intervenant.e.s du Québec. Cette rencontre internationale s’est avérée une occasion unique de découvrir les pratiques musicales contemporaines basque – tout comme les institutions pédagogiques dans lesquelles elles s’épanouissent – ainsi que d’approfondir des réflexions sur la tradition musicale à travers divers échanges dans une perspective comparative. Le coup d’envoi de la journée fut donné par l’autrice-compositrice-interprète huronne-wendat Eadsé, qui a livré une reconnaissance territoriale accompagnée d’un chant traditionnel wendat interprété à la voix et au tambour. 

La matinée fut ensuite entièrement dédiée aux invités basques. D’abord, trois conférenciers ont été rassemblés sous le thème de la tradition musicale de ce pays. Le compositeur Gabriel Erkoreka a d’abord présenté un survol de certaines des compositrices et compositeurs basques les plus connus des XXe et XXIe siècles, en plus de discuter de quelques éléments de sa propre pensée compositionnelle axée sur le folklore basque – qu’il associe moins à l’héritage mélodique qu’à l’organologie et aux recherches des mondes sonores particuliers de cette musique. Enfin, devant un public fasciné, Iñaki Alberdi a complètement disséqué son accordéon micro-tonal afin d’en illustrer les rouages organologiques, préparant ainsi l’auditoire au concert présenté en fin de journée. La présentation de la directrice générale et académique de Musikene, Miren Iñarga Echeverria, a permis de porter un éclairage sur les dimensions politiques du financement des institutions telles que Musikene à travers le gouvernement basque et l’importance de la transmission des traditions musicales et de danse, pratiques profondément liées l’une à l’autre. Enfin, sous la forme d’un récital-commenté, la mezzo-soprano Maite Arruabarrena a présenté un survol historique de l’art lyrique du pays, suivi de l’interprétation de quelques œuvres en langue basque des compositeurs Aita Donostia (1886-1956), Jesús Guridi (1886-1961), Pablo Sorozabal (1897-1988), Francisco Escudero (1912-2002) et Félix Lavilla (1928-2013).

L’après-midi fut marqué par la tenue d’une table ronde, animée par Daniel Turp, laquelle s’est principalement concentrée sur les enjeux relatifs à l’identité à travers la pratique musicale des intervenants basés au Québec et des invités du Pays basque. La langue s’est rapidement imposée comme propriété centrale de l’identité chez les panélistes. À travers son histoire et sa mise en pratique, la langue est devenue le véhicule permettant de faire sens des expériences diverses des participants. Pour l’autrice-compositrice-interprète Eadsé, les chants traditionnels wendats sont porteurs de l’héritage traditionnel alors que le wendat s’est éteint en raison des politiques colonialistes canadiennes ayant visé l’assimilation des nations autochtones. Revenant sur quelques éléments biographiques, le chanteur d’origine basque basé au Québec Yon Erkoreka a illustré l’impact du régime franquiste sur sa vie au Pays basque, puisqu’il a été forcé de recevoir une éducation en espagnol durant sa jeunesse. Son épouse, Louise Parent, et lui ont offert au public une performance spontanée d’une berceuse chantée simultanément en Euskara (par Erkoreka) et en français (par Parent), montrant ainsi le double héritage francophone et basque qu’ils ont transmis à leurs enfants nés au Québec. Pour sa part, la mezzo-soprano québécoise Marie-Annick Béliveau a insisté sur l’importance des langues pour le dialogue entre cultures, entre traditions. La panéliste situait dans la contemporanéité l’identité musicale québécoise, suggérant que la musique pratiquée aujourd’hui pourrait devenir la musique traditionnelle de demain. Dans le même ordre d’idée, Miren Iñarga a souligné l’intérêt de conserver des éléments traditionnels de la musique basque, tout en s’ouvrant sur le reste du monde pour tenter de créer des musiques qui traversent les frontières. Pour Gabriel Erkoreka, ce n’est pas le matériau traditionnel ou contemporain en soi qui importe dans ses activités de création, mais bien la façon de le transformer à travers la composition.  La musique instrumentale représente ainsi un monde de possibles sonores permettant aux musiciens basques d’incarner et de renouveler leur héritage traditionnel par la pratique compositionnelle contemporaine.    

L’anticipation des interprétations d’œuvres de Gabriel Erkoreka par Miguel Ituarte (piano) et Iñaki Alberdi (accordéon micro-tonal) – notamment la 2e Ballade – Edgar Varèse In Memoriam (2019), une œuvre pour piano, et Basalt (2020), une œuvre pour accordéon micro-tonal – a suscité différents échanges au cours de la journée, entre autres sur les processus de création du compositeur. Le programme culminait ainsi avec ce concert de fin d’après-midi qui venait clore cette journée emplie de musique et de réflexions sur la tradition et sa transmission dans la contemporanéité de ses pratiques. Outre les œuvres d’Erkoreka, nous avons entendu Miguel Ituarte interpréter au piano une pièce de Ramon Lazkano ainsi que de deux pièces de Félix Ibarrondo, notamment la première mondiale de Viento sin valles (2022). À l’accordéon micro-tonal, Iñaki Alberdi a également joué des œuvres de Zuriñe F. Gerenabarrena et de Francisco José Domínguez.     

En somme, trois concepts clés ont marqué cette journée d’étude. D’abord, la dimension proprement linguistique de l’identité qui a notamment été développée par les intervenantes et les intervenants de la table ronde. Ensuite, les interdictions qui caractérisent l’histoire de ces langues, phénomène à travers lequel il a été possible de saisir la dimension profondément affective du rapport à l’identité, tant individuelle que collective. Enfin, le rapport à la temporalité auquel la pratique musicale, dans ses liens avec la tradition, permet de réfléchir.


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