CODA- Médiation de la musique et opéra : ou comment chanter l’engagement social
Le monde de la lune de Franz Joseph Haydn
Projet CoOpéra
Opéra de Montréal, 2007
Photographie : Yves Renaud
Qu’est-ce que la médiation de la musique ? C’est un ensemble de pratiques qui a pour objectif de soutenir la cohésion et l’engagement social, l’équité et la diversité par l’intermédiaire de la musique. Il s’agit donc d’en faciliter l’accès pour des publics au sens large du terme, de valoriser la diversité musicale tout comme les manières d’entrer en contact avec la musique. De cette manière, parmi toutes les actions qui peuvent être menées sous l’égide de la médiation de la musique, il faut considérer l’organisation d’activités de co-création, d’interprétation, basées sur la rencontre avec des populations éloignées des structures institutionnelles ou marginalisées. Cette définition n’est peut-être pas parfaite, ni totalement complète, mais elle nous permet d’aborder de front le sujet de cet article. Comment peuvent s’articuler au Québec médiation de la musique et opéra ? Dans le cadre de la nouvelle politique culturelle (2018) du Québec, l’enjeu de la médiation culturelle est très présent, notamment lorsqu’on lit certains des objectifs de l’orientation 1 (contribuer à l’épanouissement individuel et collectif grâce à la culture) : « Soutenir une participation culturelle élargie et inclusive », « renforcer l’engagement individuel et collectif en culture » et « amplifier la relation entre la culture et l’éducation »[1].
Dans un tel environnement, comment doivent réagir le milieu musical, les artistes et les institutions qui le constituent? L’engagement social des artistes n’est pas une dynamique nouvelle, mais il semble qu’il est devenu une priorité. Certaines institutions musicales sont pionnières dans le domaine, même si elles ne sont pas seules sur le front[2]. L’Opéra de Montréal en fait partie. À première vue on pourrait supposer que les moyens de l’organisme le distancient de la majorité des autres organismes en musique, mais dans les faits et proportionnellement, il s’agit d’une institution représentative dont les impératifs artistiques et financiers sont assez semblables à ceux de la majorité des organisations dans le milieu musical classique. Ses impératifs s’articulent essentiellement autour de l’enjeu des publics. Cependant, contre toute attente, la médiation de la musique à l’Opéra de Montréal est loin de concentrer ses énergies à la question du développement des publics de manière « brute ». Cela en fait un exemple d’autant plus intéressant. On y trouve la médiation de la musique au cœur d’une dynamique d’intégration de l’organisme au tissu social québécois, mettant à profit son infrastructure à des fins d’« utilité » civique, répondant directement à des objectifs désormais clairement identifiés par les conseils des arts[3].
Deux projets de médiation de la musique de l’Opéra de Montréal retiennent l’attention : le premier a été initié en 2004. Il s’agit de coOpéra qui permet à des élèves (près de 90) de quatre écoles primaires de Montréal[4] d’adapter une œuvre présentée par l’OdM tant d’un point de vue littéraire que musical en s’appuyant sur l’expertise des professionnels de l’OdM. Les élèvent conçoivent un livret sur le synopsis de l’œuvre choisie, réalises décors et costumes, chantent et dansent. Le programme est soutenu par de nombreux partenaires[5] et connaît un vrai succès. La médiation de la musique passe ici par la participation des jeunes. Les conditions de réalisation sont, comme toujours, difficiles, car les moyens sont limités, mais l’engagement et l’expérience de l’équipe de l’OdM permettent des réalisations étonnamment abouties. Certes le rapport à l’œuvre inspiratrice est très souvent distendu, mais l’objectif n’est pas une restitution de l’œuvre originale, ni même approximative. L’opéra est un prétexte pour mettre les jeunes en contact avec l’art, pour les inciter à créer et ainsi générer un moment fort de cohésion par la musique[6]. Le deuxième projet que nous souhaitons aborder permet à l’OdM d’intervenir dans la sphère de la santé en parrainant un spectacle produit par la « Gang à Rambrou », un organisme qui se consacre au bien-être et à l’intégration sociale des personnes souffrant d’un handicap intellectuel[7]. Si l’OdM ne va pas jusqu’à produire le spectacle[8], il apporte néanmoins un soutien important en offrant un soutien à la scénarisation et la mise en scène et surtout, permet aux participants de rencontrer et chanter avec de jeunes professionnels de l’Atelier lyrique. Le défi est de taille, car il s’agit de franchir plusieurs barrières symboliques, dont celle de l’engagement des professionnels dans la réalisation de ce qui ne sera pas forcément une œuvre parfaite, mais bien une action de médiation de la musique, dont le résultat ne se traduit pas en perfection artistique, du moins pas forcément, mais plutôt en degré d’engagement envers la communauté.
Ces interventions s’arriment à un programme plus large où apparaissent des activités de médiation de la musique plus conventionnelles que sont les conférences « pré opéra » et les séances d’initiation aux œuvres présentées lors de la saison, appelées « Parlons opéra », mais qui dans les faits s’adressent davantage à public déjà acquis. Dans son ensemble, l’action de l’OdM est emblématique d’une prise de conscience du rôle que l’institution culturelle peut jouer au sein de sa communauté. Chacune de ses actions possède des caractéristiques qui la relient autant à la médiation de la musique qu’à la médiation par la musique et se fondent sur une présence physique des artistes et des artisans et une participation active des populations sollicitées. Les projets que nous avons évoqués trop succinctement posent cependant plusieurs questions qui devront alimenter la réflexion à moyen et long terme à propos de ce rôle des artistes et de leurs institutions dans la société contemporaine. Comment doit-on envisager l’évolution des structures musicales pour leur permettre de jouer ce nouveau rôle ? Doit-on faire évoluer les missions de nos institutions musicales ? Jusqu’où peut-on aller grâce aux pratiques de médiation de la musique lorsqu’il s’agit d’engagement social ? Et surtout, comment doit-on former artistes et professionnels du milieu pour qu’ils puissent assumer avec compétence ces fonctions de médiateurs et médiatrices de la musique au XXIe siècle ?
Notes
[1] Je souligne en gras ce qui me semble pertinent. https://partoutlaculture.gouv.qc.ca/societe/
[2] Des initiatives bien différentes émergent des centres communautaires, sociaux, milieu de santé, etc. Il faut aussi tenir compte de l’action des musiciens autonomes alors qu’ils sont assez nombreux à être au cœur de l’activité de médiation de la musique développée hors institutions au Québec. Ce court article ne prêtant aucunement à l’exhaustivité. Le contexte fait en sorte que l’attention est portée à l’opéra. D’autres circonstances pourront me permettre de présenter ce que les institutions symphoniques, par exemples, ont entrepris ces dernières années.
[3] Le Conseil des arts du Canada a créé de nouveaux programmes d’aides aux organismes dont un programme intitulé « inspirer et enraciner » dans lequel on lit : « Grâce à des programmes et des activités de sensibilisation de grande qualité, les organismes artistiques canadiens sont utiles à leur collectivité locale » https://conseildesarts.ca/financement/subventions/inspirer-et-enraciner
[4] Il s’agit des écoles Jeanne-LeBer, De la Petite-Bourgogne, St-Zotique et Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours appartenant à la commission scolaire de Montréal.
[5] L’OdM a le soutien d’un commanditaire, la Banque de Montréal, de la Commission scolaire de Montréal, de l’Université du Québec à Montréal, du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, par le biais de son programme Une école montréalaise pour tous. Le projet bénéficie du soutien financier du ministère de la Culture et des Communications et de la Ville de Montréal dans le cadre de l'Entente sur le développement culturel de Montréal.
[6] Les témoignages sont éloquents : https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/1643/coopera-le-spectacle-final
[7] La mission de la Gang à Rambrou se lit comme suit : « permettre la participation sociale, l’intégration, l’inclusion des personnes ayant un handicap intellectuel ou un trouble du spectre de l’autisme en offrant à sa clientèle la possibilité d’accroître leurs habiletés sociales, de développer des compétences et sur un plan personnel, d’augmenter leur estime de soi, savoir s’exprimer et exercer ses droits. »
[8] Le projet a permis une mise en musique et en scène renouvelée et adaptée de Carmen de Bizet en décembre 2019.