PRODUCTIONS BELLE LURETTE
@Martin Alarie
Fondée en 2004 par Étienne Cousineau et Pascal Blanchet, la compagnie Productions Belle Lurette est née de la volonté des deux cofondateurs à redorer l’image de l’opérette et à faire redécouvrir ce répertoire au public québécois. Les quinze dernières années témoignent donc de leur engagement vis à vis cette forme d’art lyrique. Leur mission s’est même élargie au fil du temps : au-delà du simple fait de mettre au programme des œuvres méconnues, le directeur artistique et sopraniste Étienne Cousineau tient à les présenter différemment. Les productions se caractérisent donc par un humour parfois incisif, mais qui atteint toujours sa cible, soit rendre l’art lyrique accessible au public. Comme le mentionne Étienne Cousineau, il ne s’agit pas de transformer complètement l’œuvre ; parfois, l’ajout d’un second degré peut faire toute la différence, comme il en avait été le cas pour leur production de Barbe-Bleue d’Offenbach : le terrible personnage avait été incarné par un chanteur se tenant sur les genoux, non pas pour se moquer des personnes de petite taille, mais plutôt pour accentuer le décalage entre la figure de Barbe-Bleue et la peur terrible qu’elle suscitait chez les autres personnages.
Loin de se cantonner dans un seul modèle d’interprétation, les Productions Belle Lurette cherchent à se renouveler constamment. L’actualisation des œuvres ne constitue pas une priorité, car Étienne Cousineau préfère respecter autant que possible la trame narrative choisie par le compositeur. Il affirme toutefois que le travail de mise en scène peut être nourri par la lecture d’un livret qui fait ressortir des éléments d’actualité. C’était le cas pour Chanson gitane de Maurice Yvain, opérette créée en 1946, et dont le sujet rappelait de manière frappante l’univers des romans-savons américains : elle a été présentée dans l’esthétique des années 1980, coiffures crêpées et maquillage métallique à volonté ! Le public avait chaudement applaudi cet opus, même s’il sortait de la formule habituelle de la compagnie. En somme, les Productions Belle Lurette cherchent à pousser plus loin certaines caractéristiques des œuvres dans le but de surprendre le public et de lui faire aimer ce répertoire qui échappe aux grandes maisons d’opéra québécoises.
L’inventivité de la compagnie s’explique également par une économie de moyens qui ne diminue en rien la qualité des spectacles. Par exemple, les chœurs sont réduits à leur minimum : la formule consacrée de la compagnie consiste à engager deux chanteurs par pupitre qui jouent également les rôles de soutien. L’équipe de la compagnie n’est pas fixe, même si plusieurs chanteurs ont participé à plus d’une production. À ce titre, Étienne Cousineau affirme : « c’est un peu comme une famille et nous sommes toujours à la recherche de nouvelles voix ». Ayant à cœur le recrutement auprès de la relève, et pas seulement des étudiants en chant classique, le directeur soutient qu’il n’hésite pas à travailler avec de jeunes artistes issus du programme de théâtre musical du Cégep Lionel-Groulx. Le répertoire de l’opérette se prête bien à cette interdisciplinarité, car l’interprétation dépasse les capacités vocales; certains rôles requièrent une très grande qualité de jeu, d’autres une solide maîtrise vocale, tandis que d’autres peuvent nécessiter des compétences en danse. La géométrie variable de chaque distribution justifie ainsi le recrutement, qui ne peut être confiné qu’à des artistes lyriques, sans quoi le succès d’une production pourrait être compromis.
En termes de répertoire, les œuvres d’Offenbach tiennent évidemment une place de premier choix, bien qu’Étienne Cousineau souligne la présentation récente de plusieurs œuvres datant de l’entre-deux-guerres, avec des titres comportant des éléments issus du jazz et empruntant parfois au charleston, au fox-trot et au tango. La compagnie a également monté des opus composés à la fin du 19e siècle et ensuite tombés dans l’oubli, parmi lesquels Les Mousquetaires au couvent de Louis Varney, Cousin cousine de Gaston Serpette et L’Oncle Célestin d’Edmond Vaudran.
Ces dernières années, les Productions Belle Lurette sont revenues à leurs amours de jeunesse et puisque 2019 célèbre le 200e anniversaire de naissance d’Offenbach, la compagnie s’est engagée à lui rendre hommage en grand. Pour l’occasion, le récital « D’amour et d’Offenbach » a été présenté à la Maison des Arts de Laval à la date exacte de l’anniversaire du compositeur, le 20 juin, et mettait à l’honneur des airs extraits de ses grandes œuvres. Les festivités se prolongeront jusqu’en novembre avec la présentation de Docteur Ox d’après une nouvelle de Jules Vernes qui narre le sort de la population d’un village après avoir été exposée à un gaz hallucinogène faisant échauffer les esprits. La résonnance actuelle de ce scénario – avec les débats parfois cinglants dont les réseaux sociaux sont les théâtres – a servi à alimenter le travail de mise en scène, qui intègrera certains éléments de notre époque. Étienne Cousineau souligne qu’il s’agit d’une oeuvre peu connue, composée à la fin de la carrière d’Offenbach, alors qu’il était en pleine maîtrise de son art. De quoi rendre un juste hommage à cette figure emblématique de l’opérette!