ENTRETIEN avec FRANÇOIS GIRARD : l'opéra, un territoire d'expression !
Photographie : Yves Lacombe
Note : Ce texte sera publié dans le numéro 20 (Été) de la version imprimée de L'Opéra- Revue québécoise d'art lyrique (p. 13 à 17).
Si François Girard compte parmi les grands cinéastes du Québec et que des longs-métrages comme Trente-deux films brefs sur Glenn Gould, Le Violon rouge, Soie et Hochelaga, terre des âmes l’ont fait connaître ici et à travers le monde, l’art total qu’est l’opéra occupe aujourd’hui une place de choix dans son univers créatif. Œdipus rex de Stravinsky, Le Vol de Lindbergh et Les Sept Péchés capitaux de Kurt Weill et la création d’Émilie de Kaija Saariaho l’ont initié à la mise en scène lyrique et c’est aujourd’hui dans le répertoire wagnérien qu’il se distingue. Après avoir mis en scène Siegfried à la Canadian Opera Company, son Parsifal au Metropolitan Opera de New York s’est mérité des plus grands éloges. Le directeur général du Met, Peter Gelb, lui a confié la mise en scène d’un deuxième opus du compositeur allemand, Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme), qui sera présenté au Festival d’opéra de Québec et prendra l’affiche du Met quelques mois plus tard. Artiste multidisciplinaire et homme de conviction, François Girard a accepté de se livrer à L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique, afin de traiter des rapports entre le septième art et l’art lyrique, de commenter, en présence de son dramaturge Serge Lamothe, l’approche qu’il a choisie pour Le Vaisseau fantôme, et d’aborder l’opéra qui est, selon lui, un territoire de l’expression.
Pourriez-vous nous parler de votre découverte de l’opéra ?
Ma véritable découverte de l’opéra s’est faite avec ma première mise en scène, celle de l’opéra-oratorio Œdipus rex de Stravinsky présenté en diptyque avec sa Symphonie de Psaumes à la Canadian Opera Company en 1997. Avant cette première incursion, mon rapport à l’opéra a été plutôt distant. Je connaissais la musique de plusieurs compositeurs lyriques, et de Wagner, ses célèbres préludes. Par exemple, celui de Tristan und Isolde, peut être entendu dans l’une des scènes de Thirty-Two Short Films About Glenn Gould. Mais je dois admettre que j’ai peu fréquenté le répertoire. Encore aujourd’hui, je trouve difficile d’écouter un enregistrement d’opéra. Il s’agit d’une expérience incomplète. À l’opéra, la musique se justifie dans l’action et les personnages, la performance chantée et la mise en scène.
Parlez-nous de votre formation musicale ? Est-ce que vous avez un jour songé à vous engager dans une carrière musicale plutôt que de choisir, comme vous l’avez fait, le monde du cinéma et du théâtre ?
À vrai dire, je n’ai pas de formation académique en musique. Je suis plutôt autodidacte en la matière, mais j’ai toujours joué du piano en dilettante. Je connais suffisamment le code pour lire des partitions, y compris les partitions d’opéras, ce qui est évidemment utile.
J’ai travaillé avec de trop grands musiciens pour avoir la prétention d’en être un. Adolescent, j’ai eu l’ambition de composer de la musique de films, ce que j’ai d’ailleurs fait pour mes propres projets et ceux de quelques autres. Ironiquement, ce désir a été assouvi à bien des égards à travers des collaborations avec des compositeurs d’exception, tels John Corigliano (Le Violon rouge), Ryūichi Sakamoto (Soie), Terry Riley (Hochelaga, terre des âmes) et plus récemment, pour le dernier film qui est cours de réalisation, Howard Shore (The Song of Names).
Quand j’y réfléchis, la musique est, à vrai dire, ma première langue. Je ne la parle peut-être pas de manière éloquente, mais je la comprends très bien. Je conçois la musique comme un lieu de rencontre. Un lieu où l’humanité se retrouve. La musique n’est-elle pas le véritable esperanto ? C’est une forme d’expression qui traverse les frontières et touche les cœurs, qui nomme les choses que ni le français, ni l’anglais, ni le mandarin ne peuvent nommer. La musique demeure le plus puissant des langages.
La musique semble avoir occupé – et occupe toujours – une place de choix dans votre travail de cinéaste. Pourquoi lui octroyez-vous tant d’importance ?
Si la musique est si présente dans ma production cinématographique, mais également dans celle de tous les cinéastes, c’est sans doute parce le cinéma est un geste fondamentalement musical. La globalité du cinéma inclut la musique, elle en est un élément indissociable. C’est par la musique qu’arrive Gould, Le Violon rouge, et maintenant The Song of Names. Mais je ne suis pas le seul, ni le premier ni le dernier, car la grande histoire du cinéma révèle que la musique, de Chaplin à Spielberg en passant par Ken Russell, l’obsédé de la musique, joue toujours un rôle clé. La musique n’a-t-elle pas précédé le parlant au cinéma, qu’elle a d’ailleurs rendu moins muet ?
Y aurait-il par ailleurs une affinité entre le cinéma et la forme d’expression musicale qu’est l’opéra ?
Il y a, à vrai dire, une filiation directe entre l’opéra et le cinéma, un rapport généalogique complet, un continuum absolu. Le cinéma est né de l’opéra. Ce que Wagner appelait l’art total, ce que les Italiens ont eu l’ambition de réussir en intégrant toutes les grandes formes d’art dans l’opéra, consistait en fait à mettre l’accent sur l’aspect pictural pour faire de l’opéra un spectacle intégral. Tout cela mène au cinéma. Avec l’invention du cinématographe, le septième art devient en quelque sorte la progéniture de l’opéra, c’est-à-dire une nouvelle forme de grand spectacle. Mais cette descendance a provoqué, à l’opéra, une profonde crise d’identité qui l’a forcé à se redéfinir.
Les plus grands compositeurs lyriques des xixe et xxe siècles sont les précurseurs des compositeurs les plus marquants du xxe siècle. Plus je pratique la mise en scène d’opéra, plus je constate que le cinéma est le descendant de cet art total. Récemment, j’ai assisté à une représentation de Tosca au Met ; la musique de Puccini est une musique de film. Elle l’est tout comme, vice-versa, la musique de film est une musique d’opéra. Par ailleurs, les grands compositeurs de musique de films, comme Howard Shore, sont souvent des passionnés d’opéra. Howard est un abonné au Met depuis 30 ans, il connaît le répertoire lyrique par cœur.
Quelles circonstances vous ont fait entrer dans le monde lyrique ? Le métier de metteur en scène à l’opéra vous a-t-il semblé, au départ, très différent de celui de réalisateur au cinéma ?
Richard Bradshaw, le regretté directeur général et artistique de la Canada Opera Company, m’a offert de mettre en scène un opéra pour la maison lyrique de Toronto. C’est grâce à lui que j’ai réalisé mes débuts à l’opéra. Après avoir fait un grand tour anthologique du répertoire lyrique, j’ai accepté de travailler, comme il le souhaitait, à la production du diptyque Œdipus rex / Symphonie de Psaumes de Stravinsky. Cette première aventure à l’opéra est celle qui m’a permis de me rendre compte que le travail de mise en scène à l’opéra était très semblable à celui de réalisation au cinéma.
Oedipus Rex d'Igor Stravinsky
Canadian Opera Company, 1997
Photographie : Gary Beechey
Mon arrivée dans le monde lyrique, du moins dans ma perception, était accidentelle, car je croyais que l’opéra était une discipline étrangère à mon travail. Rétrospectivement, je réalise qu’il n’y avait là rien de fortuit et que mon expérience au cinéma m’y préparait. J’étais très curieux de découvrir les méthodes de travail à l’opéra, et dès la première répétition, je me suis rendu compte qu’il s’agissait essentiellement du même métier. Rapidement, je me suis senti confortable dans ce nouveau genre.
Bien sûr, il y a plusieurs différences, notamment au niveau technique, et l’on doit s’adapter au langage des musiciens. Or, en simplifiant un peu, mettre en scène le premier acte de Parsifal, c’est filmer un plan séquence d’une heure quarante-cinq minutes pendant lequel la caméra ne bouge jamais ! On a vu des films en un seul plan séquence, on a aussi vu des films en plan fixe : rien d’impossible ici. Mais dans le cas de Parsifal, l’aventure devient plutôt extrême ! À l’opéra, on est contraint au plan large, sinon très large. Mais là encore, on trouve vite les astuces pour palier à l’absence de gros plans. Un gros plan à l’opéra, c’est cent vingt choristes qui regardent tous en même temps le même soliste.
Pour le reste, j’ai eu la nette impression de faire le même métier. Essentiellement, la préoccupation est la même : trouver la résonnance d’une musique ou d’un texte, et la partager avec le public. Les vraies questions sont toujours semblables : quel est le propos de l’œuvre ? Comment révéler ses couches souterraines ? Ensuite, la forme d’expression, qu’il s’agisse du cinéma ou l’opéra, demeure la même, et les chemins pris pour y répondre sont étonnamment similaires.
Qu’en est-il, d’ailleurs, des œuvres et de leur respect ?
Dans mon travail de cinéaste, j’ai été auteur et metteur en scène, sans être auteur. Il faut faire cette différence-là. Quand je suis à l’opéra, je ne suis pas un auteur, je suis un passeur. Je réagis mal au « kidnapping de sens » : faire passer son propre propos à travers une mise en scène est pour moi une sorte de trahison. Si un metteur en scène a quelque chose à dire, qu’il prenne le crayon et qu’il écrive un opéra.
Par exemple, si on met en scène Parsifal, il importe d’adhérer au livret et à la musique de Wagner, car c’est lui et sa poésie qui parlent ; la véritable trame provient des contes et légendes qui l’ont nourri. Véhiculer, à travers Parsifal, une histoire de l’Allemagne, à partir de la naissance de Wagner jusqu’à l’Allemagne d’aujourd’hui, en passant par la montée du Troisième Reich, comme cela a été fait à Bayreuth, constitue un kidnapping de sens. Wagner n’a jamais pensé Parsifal dans une projection futuriste de ce que deviendrait l’Allemagne. Une telle approche est condamnable, et c’est d’ailleurs une maladie aujourd’hui répandue dans le milieu de l’opéra.
En somme, il faut être au service de l’œuvre. Cela n’empêche ni de la mettre en perspective ni d’en actualiser le propos. On peut très bien chercher à comprendre et à faire comprendre ce que veut dire l’œuvre aujourd’hui. Notre travail est d’en déchiffrer le sens pour le faire résonner dans un théâtre, devant un public contemporain. Il y a dans l’opéra, un territoire d’expression, dans la conception, les costumes et les décors. Il y a également un véritable territoire d’interprétation, et c’est dans cet état d’esprit que j’ai mis en scène Le Vaisseau fantôme. J’explore actuellement ce territoire avec Serge Lamothe, John Macfarlane, David Finn, Peter Flaherty et Carolyn Choa.
Parlez-nous de vos mises en scène lyriques qui ont suivi cette première expérience, celles des opéras Le Vol de Lindbergh et Les Sept péchés capitaux présentés à l’Opéra de Lyon en 2006, ainsi que de la création mondiale d’Émilie, en 2010, de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho.
Les productions des opéras Le Vol de Lindbergh et Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill et Bertolt Brecht m’ont procuré des moments de véritable bonheur. J’étais très fier de cette deuxième expérience de mise en scène lyrique que m’offrait l’Opéra de Lyon. S’agissant d’Émilie, ce fut un peu plus difficile, car il s’agissait d’une création et la rédaction du livret par Amin Maalouf n’était pas terminée au moment où le travail de création de l’œuvre a débuté. Complétée, quant à elle, la partition de Kaija Saariaho permettait d’imaginer la mise en scène. Le grand écrivain franco-libanais, pour lequel j’ai le plus grand respect, allait toutefois prendre une direction différente de celle qui m’intéressait pour le personnage d’Émilie. Grande mathématicienne et physicienne (traductrice de Newton !), Émilie du Châtelet est une figure extrêmement avant-gardiste. Elle s’est inscrite dans l’histoire en tant que première femme scientifique d’Europe : c’est surtout cela qui m’intéressait. Cependant, le librettiste a opté pour une version plus romantique du personnage, en s’intéressant davantage à sa vie intime, sa maternité et sa relation amoureuse avec Voltaire. Si j’avais pu prendre connaissance du livret avant d’accepter de faire la mise en scène d’Émilie, je ne suis pas certain que je serais allé jusqu’au bout du projet. Il n’en demeure pas moins que l’aventure fut enrichissante du seul fait que j’ai pu travailler avec les deux grands artistes que sont Kaija Saariaho et Amin Maalouf.
Émilie de Kaija Saariaho
Opéra de Lyon, 2006
Photographie : Jean-Pierre Maurin
C’est à travers la mise en scène de Siegfried à la Canadian Opera Company en 2005, une production d’ailleurs reprise en 2016 et à nouveau couronnée de succès, que vous avez été initié à l’univers wagnérien. Que vous a apporté cette première mise en scène d’un opus du maître de Bayreuth ? N’est-il pas vrai que l’on vous avait demandé de mettre en scène la tétralogie l’Anneau du Nibelung (Der Ring des Nibelungen) dans son intégralité ? Pourriez-vous nous faire connaître les raisons qui ont milité pour un tel choix ?
L’initiation à l’art total de Wagner par Siegfried m’a permis de me familiariser avec le système qu’a mis en place le compositeur de façon progressive dans son processus de création lyrique. Ce système est caractérisé par la correspondance entre le texte et la musique, et l’émergence de ce qu’on a qualifié de « leitmotiv wagnérien ». Il est intéressant de rappeler que l’appellation ne provient pas de Wagner, mais plutôt du musicographe Hans von Wolzogen qui l’évoque dans les Bayreuther Blätter, journal dédié aux visiteurs du Festival de Bayreuth. Wagner a plutôt utilisé l’expression Grundthema (motif conducteur) pour décrire ce mode musical récurrent auquel il fait appel dès Le Vaisseau fantôme, mais qui devient plus systématisé dans Lohengrin, atteint son paroxysme dans les quatre opéras du Ring, et sa forme la plus transcendante, dans Parsifal. Dans Siegfried, le livret structure la partition et le texte est le déclencheur du système musical. Chez Wagner, il y a un dialogue constant entre texte et musique qui oriente le travail de mise en scène : un guide plus que nécessaire au royaume des mythes et légendes.
Siegfried de Richard Wagner
Canadian Opera Company, 2016
Photographie : Michael Cooper
Le jour où l’on m’a offert de mettre en scène le Ring, honnêtement, je ne me considérais pas assez compétent pour m’y attaquer à cette étape de mon parcours. Il aurait été prématuré pour moi de me lancer dans une telle aventure. La tétralogie a finalement été montée par quatre metteurs en scène et je me suis précipité pour choisir Siegfried. S’attaquer au Ring est une grande entreprise, nécessitant d’abandonner tout le reste, et dans mon cas, ma production cinématographique. Ce serait, pour reprendre une belle expression de Serge Lamothe, comme « d’entrer dans les ordres ». L’expérience pourrait me tenter un jour, mais ce jour-là n’est pas encore arrivé !
Et que retenir de l’expérience Parsifal qui a d’abord été présenté à l’Opéra de Lyon en 2012 et qui s’est transporté au Metropolitan Opera de New York en 2013 ?
Comme on l’a souvent dit, Parsifal, pour un metteur en scène, est une œuvre suicidaire. S’attaquer à un tel monument, considéré comme le testament musical du maître de Bayreuth, est un défi que j’ai mis sept ans à relever.
Avec l’aide de Serge Lamothe, qui m’a accompagné une fois de plus dans cette aventure, nous nous sommes d’abord attaqués au texte, ligne par ligne, pour bien comprendre les enjeux dramatiques. Wagner a écrit Parsifal à la fin de sa vie en tentant de réconcilier toutes ses influences spirituelles et philosophiques : christianisme, bouddhisme, orientalisme et humanisme. En fin de compte, son livret demeure ambigu, presque abyssal ! C’est un texte qui demeure énigmatique et impossible à résoudre parfaitement.
C’est l’image du sang qui s’est avérée la clé de voute de ma mise en scène : le sang de la vie, le sang de la passion, le sang du Christ, « le sang sacré qui s’embrase » (das heil’ge Blut erglüht), qu’évoque Parsifal au deuxième acte en présence de Kundry, qui l’invite à accueillir « avec faveur la femme aimante qui s’approche » (Blick’ auf, sei hold der Huldin Nahn !). Nous avons donc utilisé le sang pour aller à la rencontre de l’œuvre, en explorer les abysses et traduire au plan théâtral les émotions portées par le texte et la musique de Wagner. Bien que le texte soit souvent hermétique, la musique demeure d’une grande limpidité et c’est elle qui a été le véritable guide de tous les instants.
J’ai d’abord travaillé avec le formidable chef japonais Kazushi Ōno et une distribution essentiellement allemande à l’Opéra de Lyon. Par la suite, la production au Metropolitan Opera m’a permis de faire équipe avec un grand chef italien, Daniele Gatti, et de compter sur une autre distribution de haut calibre parmi laquelle se retrouvait Jonas Kaufmann, René Pape, Katanina Dalayman, Peter Mattei et Yevgeny Nikitin. Ces deux chefs et tous ces interprètes ont considérablement contribué à déchiffrer l’œuvre. Je leur dois beaucoup comme à tous les autres collaborateurs, à commencer par Serge Lamothe et le scénographe Michael Levine.
Parsifal de Richard Wagner
Metropolitan Opera de New York, 2013
Photographie : Ken Howard
Nous sommes à quelques jours de la présentation du Vaisseau fantôme de Wagner qui pourra être vu au Festival d’opéra de Québec à partir du 28 juillet 2019, puis au Metropolitan Opera en 2020 et à l’Opéra national des Pays-Bas d’Amsterdam en 2021. Après avoir mis en scène le dernier opus de Wagner, comment avez-vous abordé le travail de mise en scène de l’un de ses premiers opéras ?
J’ai à nouveau été à la recherche de l’argument dramatique et de la matrice de l’œuvre d’abord et encore avec Serge Lamothe. C’est le portrait du Hollandais qui est vite apparu comme la porte d’entrée. Je suis d’abord cinéaste et je m’identifie à la fascination que Senta éprouve à la vue de ce portrait. Comme elle, je crois qu’une représentation (un portrait, une image, un film) est souvent plus réelle que ce que l’on appelle la réalité. C’est d’abord ce qui m’a intéressé et c’est l’angle que j’ai choisi pour aborder la conception de cette mise en scène.
Avec l’aide du grand scénographe écossais John Macfarlane, ce portrait connaîtra plusieurs déclinaisons, tant le rideau de scène que la toile de fond mise à contribution pour illustrer le caractère surnaturel du Hollandais volant. John Macfarlane est aussi un artiste peintre de talent. Pour notre décor, il a réalisé une fresque monumentale, sans doute la plus grande qu’il aura créée de toute sa carrière ! Le spectacle se présente donc comme une gigantesque toile à l’intérieur de laquelle nous convions le spectateur. S’ajoutent à cela les contributions du concepteur des éclairages David Finn et du concepteur vidéo Peter Flaherty qui donneront une tridimensionnalité à ce décor.
Ma fascination pour le portrait du Hollandais m’a même amené à ne pas vouloir représenter les navires. Mais John m’a convaincu du contraire en proposant une esquisse extraordinaire du bateau de Daland qui marquera sans doute l’imagination, tout autant que le portrait peint et les toiles scéniques. Nous avons également d’autres tableaux que j’espère mémorables, dont celui des fileuses où la chorégraphe Carolyn Choa filera le destin. Le propos et la forme du Vaisseau fantôme sont plus simples que dans Parsifal. Mais aujourd’hui, à mi-chemin des répétitions, je peux dire que j’ai retrouvé la même fascination.
De gauche à droite : Johanni van Osstrum (Senta), Gina Lapinski (assistante à la mise en scène), François Girard et Éric Laporte (Érik)
Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner
Festival d’opéra de Québec, 2019
Le texte du Vaisseau fantôme est beaucoup plus limpide que celui de Parsifal, et sur le plan musical, Le Vaisseau fantôme suit une trajectoire plus traditionnelle. On peut y entendre les ballades, les duos, les trios qui illustrent le caractère plus conventionnel de l’œuvre. Mais la révolution wagnérienne est déjà en marche et toutes les idées, les formes et les systèmes qui seront développés dans ses opéras ultérieurs et trouveront leur aboutissement dans Parsifal, sont déjà présents.
Quoi qu’il en soit, les deux opéras de Wagner que j’aurai mis en scène avant Le Vaisseau fantôme, Siegfried et Parsifal, m’auront permis d’apprivoiser la mécanique wagnérienne et de mettre l’expérience au service d’un premier opéra véritablement connu et joué du grand compositeur lyrique allemand.
Avez-vous d’autres mises en scène d’opéra en préparation ?
Oui, il y a un autre projet de mise en scène qui est confirmé, mais il est trop tôt pour en parler. Je peux seulement confirmer qu’il s’agira d’un autre opéra de Wagner !
Si des moyens illimités vous étaient donnés pour réaliser un projet de nature lyrique, quel projet serait le vôtre ?
Quelle question ! Je pense que les contraintes, y compris les contraintes budgétaires, représentent souvent une stimulation dans mon métier. Mais, à bien y penser, et pour prendre part à votre jeu, je rêve de concevoir, comme Richard Wagner l’a fait pour le Festspielhaus de Bayreuth, un théâtre fait sur mesure pour l’opéra tel qu’il se conçoit aujourd’hui. J’ai d’ailleurs flirté avec cette idée pour un spectacle en Chine. Pour ce projet qui n’a malheureusement pas vu le jour, j’ai conçu un Cosmic Show qui devait prendre place dans un Cosmic Theatre dessiné sur mesure ! Il y aurait encore beaucoup à dire sur Bayreuth, et l’importance historique de ce théâtre. On se reparlera de tout ça une autre fois !
Propos recueillis par Daniel Turp et Gabrielle Prud’homme
Les mises en scène lyriques de François Girard
Année | Opéra | Compositeur / Compositrice (C) Librettiste (L) | Compagnie |
1997 2002 | Œdipus rex / Symphonie de psaumes | Igor Stravinsky (C) Jean Cocteau (L) | Canadian Opera Company Festival d’Édimbourg |
2004 | Lost Objects | Michael Gordon, David Lang, Julia Wolfe (C) Deborah Artman (L) | Brooklyn Academy of Music |
2005 2006 2007 2016 | Siegfried | Richard Wagner (C, L) | Canadian Opera Company Opéra de Lyon |
2006 | Le Vol de Lindbergh / Les Sept Péchés capitaux | Kurt Weill (C) Bertolt Brecht (L)
| Opéra de Lyon Festival d’Édimbourg |
2010 | Émilie | Kaija Saariaho (C) Amin Maalouf (L) | Opéra de Lyon Opéra national des Pays-Bas d’Amsterdam |
2012 2013 | Parsifal | Richard Wagner (C, L) | Opéra de Lyon Metropolitan Opera de New York |
2019 2020 2021 | Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme) | Richard Wagner (C, L) | Festival d’opéra de Québec Metropolitan Opera de New York Opéra national des Pays-Bas d’Amsterdam |
SERGE LAMOTHE
Photographie : Antoine Tanguay
DRAMATURGE…e !
François Girard aime présenter Serge Lamothe comme un « écrivain incontournable de sa génération ». Il a fait de cet ami, et de l’écrivain, dont le prochain roman Oshima paraître en août 2019, son Dramaturg…e !
Fonction bien connue en Allemagne, qu’a valorisée en outre le regretté Patrice Chéreau, le dramaturge désigne la personne qui agit comme conseiller littéraire et artistique d’un metteur en scène. Il s’agit, pour le dramaturge, comme le suggère une autre dramaturge, l’Allemande Barbara Engelhardt, de permettre au metteur en scène d’avoir une « maîtrise intellectuelle de l’œuvre, [d’être] en prise directe avec le texte du livret », en « élabor[ant] un corpus d’œuvres complémentaires, permettant d’enrichir la signification première, d’expliciter des références ou allusions, d’ancrer l’œuvre dans un contexte philosophique, idéel, social, économique ». « Mais aussi de la faire entrer en résonance avec des analyses anthropologiques ou psychologiques fondamentales, afin que le spectateur se sente personnellement concerné par ce qu’il verra sur la scène » (Fabrice Malkani, « Le Métier de dramaturge : Une fonction nouvelle », Forum Opéra : Le Magazine du monde lyrique, 25 janvier 2016).
Cet ancrage, et son travail de « gardien du sens », comme il aime le qualifier lui-même, Serge Lamothe l’a offert à François Girard, tant au Cirque du Soleil qu’au théâtre pour En Attendant Godot, Le Procès de Kafka et Le Fusil de chasse (ces deux dernières pièces ayant été adaptées par Lamothe), mais aussi dans le cadre de la mise en scène des opéras Les Sept Péchés capitaux, Le Vol de Lindbergh, Émilie et Parsifal. Il a aussi accompagné François Girard pour Le Vaisseau fantôme qui fera escale à Québec en cet été 2019 et hissera ultérieurement les voiles pour New York en 2020 et Amsterdam en 2021. Il ne faudra pas se surprendre de le voir encore aux côtés de François Girard dans ses prochaines aventures lyriques, développant cette fonction de dramaturge dont il est, pour le Québec, l’un des pionniers.