Articles

PORTRAIT ARTISAN - PIERRE LAFONTAINE, CHEF PERRUQUIER DE L'OPÉRA DE MONTRÉAL

PORTRAIT ARTISAN - PIERRE LAFONTAINE, CHEF PERRUQUIER DE L'OPÉRA DE MONTRÉAL

(Photo: Pierre Lafontaine et Brian Staufenbiel. Crédit: Antoine Amnotte-Dupuis)

D’abord formé à l’École des Beaux-arts de Montréal et ensuite à l’École nationale de théâtre, Pierre Lafontaine est aujourd’hui le chef perruquier de l’Opéra de Montréal. Après avoir pratiqué son art dans le milieu du théâtre, au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) en particulier, et avoir collaboré pendant plusieurs années avec la chanteuse Diane Dufresne, il a été recruté par la compagnie lyrique montréalaise, où il y oeuvre depuis 2001. Il poursuit, à la pige, son travail au théâtre et les ateliers lyriques de l’Université de Montréal et de l’Université McGill font régulièrement appel à lui. Il est passionné par son métier et par cette forme d’art total qu’est l’opéra. Découvrons un grand artisan de notre vie lyrique, le chef perruquier de l’Opéra de Montréal, Pierre Lafontaine.

Parlez-nous de la formation qui vous a préparé à devenir chef perruquier de l’Opéra de Montréal ?
J’ai d’abord passé cinq magnifiques années, de 1967 à 1972, à l’École des Beaux-arts de Montréal et y ai gradué dans la dernière promotion de cette grande institution dont les fonctions d’enseignement supérieur ont été cédées à l’Université du Québec à Montréal. J’ai continué ma formation à l’École nationale de théâtre du Canada, où j’ai été initié aux techniques de conception des décors et des costumes, ainsi qu’à la scénographie. Mais ce sont sans doute les ateliers de maquillage et de coiffure qui sont à l’origine de ma vocation et qui m’ont d’ailleurs amené à demander au grand décorateur – et enseignant – François Barbeau, de me permettre de pratiquer ce qui allait devenir mon futur métier de perruquier. Celui-ci a consenti à ma requête à condition que je participe à l’ensemble des productions de l’école, tant anglophones que francophones. J’ai ainsi pu parfaire ma formation en travaillant avec des artisans de Radio-Canada auxquels faisait appel l’école pour ses productions. J’ai le souvenir d’avoir été émerveillé par le travail d’un homme généreux, Jacques Lafleur, qui m’a véritablement appris à établir des maquillages et à installer des perruques. Je lui dois beaucoup.

Cette formation vous a conduit vers le théâtre d’abord, n’est-ce pas ?
En effet, j’ai d’abord travaillé avec plusieurs compagnies de théâtre durant les années 1970 et 1980. C’est en 1989 qu’une ouverture s’est présentée au TNM. On m’y a embauché et j’y ai travaillé pendant plus de dix ans, sous la gouverne de trois directeurs : Jean-Louis Roux d’abord, André Pagé, dont le règne fut si court, et Olivier Reichenbach. Le TNM fut une grande école pour moi et un lieu idéal pour perfectionner ce métier.

Vous avez aussi travaillé à la fin des années 1980 et durant la décennie suivante avec une grande « diva » populaire : Diane Dufresne ?
Je m’enorgueillis d’avoir été l’un des collaborateurs de cette grande artiste, une icône de notre chanson québécoise. Ayant perdu son coiffeur au moment où s’amorçait la tournée de promotion de son nouvel album Top Secret, qui lui vaudra d’ailleurs un Prix Félix, elle a fait appel à moi. Ce fut le début d’une belle et fructueuse collaboration entre nous. Son excentricité m’a permis d’être si créatif et m’a amené à découvrir une personne qui voulait constamment se dépasser. Elle compte parmi les grandes artistes du Québec et était, comme elle me l’a souvent dit, inspirée par d’autres grandes artistes qu’elle admirait, notamment par Juliette Gréco et Pauline Julien.

Et la prochaine étape de votre parcours aura été l’Opéra de Montréal… et vous y êtes toujours !
La chance m’a souri en quelque sorte, car le perruquier de l’Opéra de Montréal, Jean-Claude Ménard, devait partir à la retraite en 2001 et il lui fallait un remplaçant. Le directeur technique de la compagnie lyrique, Pierre Dufour, qui deviendra ultérieurement son directeur général, me proposera alors de me joindre à la compagnie. Et m’y voilà ! Le travail au théâtre m’avait fort bien préparé à celui que j’allais maintenant effectuer à l’opéra, bien que j’aie rapidement constaté que la tâche était d’une plus grande ampleur. Il y a davantage de personnages sur une scène lyrique, surtout – et c’est très souvent le cas – lorsque le compositeur fait appel à un choeur. Il nous est arrivé d’avoir à installer plus de 130 perruques pour une production et d’être une équipe de dix perruquiers et perruquières pour effectuer ce travail.

Pourriez-vous évoquer vos plus beaux moments et vos rencontres les plus mémo­rables à ce jour à l’Opéra de Montréal ?
D’abord, j’ai fait la rencontre d’oeuvres exceptionnelles qui n’ont fait qu’accentuer ma passion pour l’opéra. J’en nomme trois, mais il y a en tant d’autres : Madama Butterfly de Puccini, le diptyque Le Château de Barbe-Bleue de Bartók et Erwartung de Schoenberg, mis en scène à Montréal par Robert Lepage, et Le Vaisseau fantôme de Wagner. Et je me permets d’ajouter les oeuvres nouvelles de compositeurs d’ici, Les Feluettes et Another Brick in the Wall. S’agissant des rencontres mémorables, elles sont encore là si nombreuses car tant de personnes exceptionnelles évoluent dans le monde de l’opéra. Je mentionnerai Nicola Beller Carbone, Étienne Dupuis, Hélène Guilmette, Aline Kutan et Hiromi Omura. Et j’ajouterai Zandra Rhodes, la décoratrice et costumière britannique, dont l’extravagance m’avait plu et a rendu, pour moi, son passage à Montréal inoubliable.

Accepteriez-vous partager avec nous l’un des moments les plus cocasses de votre vie lyrique ?
Sans hésitation ! Je vous dirais que le moment le plus amusant que j’ai vécu aura été le changement de costumes de Cendrillon dans la production de l’opéra de Massenet en 2015. Nous disposions de 70 secondes pour débarrasser Julie Boulianne, une chanteuse que j’estime beaucoup, de ses haillons et lui glisser l’immense robe qu’avait conçue André Barbe, sans parler des changements de perruque, de chaussures et du maquillage ! Des défis que nous relevions tous les soirs, et des moments de pur bonheur pour l’artisan que je suis !

Daniel Turp

NOTE : Sur le thème « L’art de coiffer », une vidéo diffusée sur le site du magazine Clin d’oeil – à qui l’on a donné accès aux coulisses de l’Opéra de Montréal dans le cadre de sa production de Madama Butterfly de Puccini en 2015 – permet de voir et entendre Pierre Lafontaine parler de son métier de chef perruquier. Il est accessible à l’adresse www.clindoeil.ca/beaute/cest-hot/acces-exclusif-les-coulisses-de-lopera-de-montreal-partie-2.


Partager: