ENTRETIEN AVEC MICHÈLE LOSIER : … RÉUSSIR UNE CARRIÈRE, DE BELLE FAÇON !
Au terme d’une saison très française où elle a chanté dans trois productions de l’Opéra national de Paris (Così fan tutte, Benvenuto Cellini et L’Heure espagnole) et tenu le rôle-titre dans La Cenerentola à l’Opéra de Lyon, la mezzo-soprano reprend son souffle. Mais c’est pour mieux se préparer à une saison 2018-2019 durant laquelle elle prendra le rôle de Giovanna Seymour dans Anna Bolena à l’Opéra national de Bordeaux et celui de Judith dans Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók dans une version de concert présentée à Montréal par l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Elle incarnera aussi Ascagne dans Les Troyens à l’Opéra national de Paris et fera un retour au Teatro alla Scala de Milan pour donner vie au personnage d’Idamante dans Idomeneo.
Dans l’entretien qu’elle a eu la gentillesse de nous accorder de la ville-lumière, Michèle Losier nous parle de sa fascination pour l’opéra dès son jeune âge, de son professeur Winston Purdy et de son instructrice de chant Marlena Malas, de son admiration pour Barbara Hannigan, de son fils Florent qui, à trois ans, aime chantonner l’air de Figaro, et de son rêve d’être la Salomé de Richard Strauss. L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique est fier de présenter une grande artiste lyrique du Québec qui tient à réussir sa carrière… de belle façon !
Parlez-nous de la place qu’a occupée la musique dans votre petite enfance, votre enfance et votre adolescence ? Et s’agissant de l’opéra, vous rappelez-vous du premier air ou de la première œuvre que vous avez entendu pendant votre prime jeunesse ?
J’ai été fascinée par l’opéra à un très jeune âge. J’ai d’ailleurs un très fidèle souvenir d’avoir pu voir et entendre, à l’âge de 10 ans environ, à la télévision de Radio-Canada dans le cadre l’émission « Les Beaux Dimanches », La Bohème dans la mise en scène de Franco Zeffirelli avec Luciano Pavarotti et Mirella Freni ainsi que Carmen avec Plácido Domingo et Julia Migenes. Et je me rappelle clairement de m’être dit alors : « Mon Dieu, j’aimerais ça, chanter de l’opéra ». J’étais déjà consciente de la différence importante entre la musique pop et l’opéra, notamment sur le plan de la technique vocale. J’ai aussi fait du théâtre et du piano, mais aussi du sport, le patinage artistique. Ma vie c’était, à cette époque, « école-piano-patin, école-piano-patin ». L’activité sportive m’aura d’ailleurs permis de valoriser l’importance de la forme physique, ce qui m’est aujourd’hui d’un précieux secours, notamment lorsque je dois aborder des rôles de garçons « trouser roles ».
Vous êtes diplômée de l’Université McGill et avez été résidente à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, du Merola Opera Program à San Francisco et du Studio d’opéra de la Juilliard School à New York. Qu’avez-vous retenu de ces années de formation ? Quelles sont les personnes qui vous ont marquée et inspirée pendant cette période ?
Ces années de formation m’ont permis d’entreprendre cette carrière lyrique que je me compte chanceuse de pouvoir mener aujourd’hui. Elles ont débuté au Cégep Marie-Victorin où j’ai été guidée par la contralto Madeleine Jalbert qui a cru en moi et m’a notamment encouragé à me présenter à des auditions aux Facultés de musique de l’Université McGill et de l’Université de Montréal. J’ai opté pour l’Université McGill et j’y ai été formée par des artistes lyriques et des pédagogues de haut niveau, et principalement par Winston Purdy. À McGill, j’ai également eu le privilège de travailler avec le pianiste Michael McMahon et d’être également initiée au répertoire contemporain avec le compositeur Denys Bouliane.
Cette formation initiale a ensuite été enrichie par une résidence à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal où j’ai beaucoup, voire tout appris, grâce notamment à son extraordinaire directrice Chantal Lambert, son directeur musical Jean- Marie Zeitouni, ainsi que le directeur artistique de l’Opéra de Montréal de l’époque, le chef Bernard Labadie. C’est à l’Atelier lyrique que j’ai fait la rencontre d’Esther Gonthier qui est devenue depuis une grande complice et « ma » pianiste. La soprano Lyne Fortin m’a également été d’une aide précieuse dans le cadre du passage de l’Université vers l’Atelier. Et j’avais comme collègues de jeunes artistes lyriques comme Philip Addis et Julie Boulianne que je retrouve aujourd’hui sur les scènes lyriques du monde. À la jeune personne têtue et capable de défoncer les portes que j’étais, l’Atelier m’a en outre appris à bien travailler avec les autres et surtout à les respecter ; le pianiste et chef de chant Claude Webster a été d’un si précieux secours dans cette école de vie qu’a représenté en définitive pour moi l’Atelier.
La direction de l’Atelier a par ailleurs été d’une grande souplesse avec moi et il m’a été permis de faire, pendant ma résidence, des auditions aux États-Unis d’Amérique. Celles-ci m’ont d’ailleurs donné accès au Merola Program du San Francisco Opera où j’ai pu bénéficier, durant l’été 2005, d’une formation intensive. S’agissant de mon passage à la Juilliard School of Music, il m’a aussi été fort bénéfique et fut l’occasion d’une grande rencontre, celle de l’instructrice de chant Marlena Malas. Celle-ci m’a véritablement permis d’approfondir les rudiments du métier de chanteuse lyrique et je fais d’ailleurs encore appel à elle aujourd’hui pour me préparer à des nouvelles productions et pour m’assurer que ma technique vocale est toujours à son meilleur. Le passage à Juilliard a aussi été l’occasion de me faire connaître sur le « marché » américain et de chanter sur plusieurs scènes de ce pays où l’opéra tient une place importante.
Dans ce parcours, y a-t-il eu des moments de remise en question ou de découragement durant votre formation et en début de carrière ?
Peut-être ai-je vécu un court épisode, une semaine peut-être ! Et j’ai le souvenir d’avoir envisagé de devenir une orthophoniste et d’avoir cherché à savoir quelle formation requerrait cette profession ! J’ai, de toute évidence, toujours été attirée par la voix !
Au moment où se met en branle le volet Chant du Concours international musical de Montréal de 2018, que retenez-vous de vos expériences de participation aux concours nationaux et internationaux de chant ? Est-ce que vous recommandez aux jeunes interprètes lyriques de tenter leur chance à ces concours, et notamment à ceux auxquels vous avez pris part et avez été lauréate, tels les Journées de la Musique française, le Concours International de Chant de Marmande en France et le Concours Reine Élisabeth de Belgique ?
Je crois pouvoir dire que je fus une « bête » de concours et que la compétition ne m’effrayait pas. Au contraire, elle me stimulait et était l’occasion d’aller au bout de moi-même, de me remettre en question. J’ai d’ailleurs toujours participé à des concours pour gagner… sans jamais remporter un premier prix ! Mais les concours auxquels j’ai participé m’ont aussi ouvert des portes, qu’il s’agisse du Metropolitan Opera de New York à la suite de ma participation à ses « Auditions » en 2005, ou du Concours Reine Élisabeth qui m’a valu de pouvoir chanter, en 2008, avec l’Orchestre de la Monnaie sous la direction du chef Kazushi Ōno (les prestations de Michèle Losier à ce concours, accessibles sur Youtube, en particulier son interprétation de la première mélodie « Asie » du cycle Shéhérazade de Maurice Ravel, valent la peine d’être entendus, ndlr).
Même si les concours ne sont pas un passage obligatoire et que le succès d’une carrière lyrique ne dépend pas d’une victoire à un concours, j’encourage les jeunes artistes lyriques à participer à de tels concours. Ils sont très formateurs pour de jeunes artistes, mais seulement si leur caractère sied bien à ce genre d’épreuve. Et à condition que l’on choisisse des œuvres que l’on est capable de très bien chanter, ce que j’ai peut-être omis de faire… dans le cas d’un concours du moins ! Il ne faut pas avoir froid aux yeux, savoir contrôler son stress et apprendre à vivre avec des décisions de jurys qui paraissent – et sont – parfois subjectives. Et moi qui viens du patinage artistique, qui ai grandi dans la compétition, je sais ce que sont des jugements subjectifs. Je les vois encore dans le métier, mais ils ne devraient pas affecter un artiste. L’existence de tels jugements subjectifs devrait, comme cela a été dans mon cas, je crois, accroître sa détermination à réussir. Ne faut-il pas d’ailleurs vouloir réussir une carrière, de belle façon !
Pourriez-vous partager avec nous des souvenirs de votre participation à vos premières productions d’opéra, mais également de vos premiers passages dans les prestigieuses maisons lyriques que sont le Metropolitan Opera de New York, le Teatro alla Scala de Milan, le Royal Opera House de Londres, l’Opéra national de Paris ou le Gran Teatre del Liceu de Barcelone ? Y a-t-il d’autres compagnies lyriques que vous affectionnez particulièrement ?
Mes premiers pas sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier comme Cherubino dans Le Nozze di Figaro, Mercédès dans Carmen et Lazuli dans L’Étoile d’Emmanuel Chabrier en ma qualité de résidente à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal en 2005 comptent toujours parmi mes plus beaux souvenirs. Est tout aussi mémorable pour moi le fait d’avoir pu chanter les lignes enivrantes de Charlotte dans Werther aux côtés de mon collègue Philip Addis et sous la direction de Jean-Marie Zeitouni à l’Opéra de Montréal en 2011.