PORTRAIT : RIHAB CHAIEB
Elle a fait partie d’un groupe de heavy metal ; elle a pleuré en écoutant des airs d’opéra pour la première fois de sa vie à la fin de son adolescence et elle aimerait implanter l’opéra en Tunisie, pays de ses origines familiales. Rencontre avec la mezzo-soprano Rihab Chaieb.
Rihab Chaieb, vous êtes présentement en troisième année du programme Lindemann de développement de jeunes artistes du Metropolitan Opera. Quel bilan faites-vous de votre passage dans ce programme ?
Fabuleux ! Il s’agit d’un programme qui nous prépare à entrer dans le grand monde de la carrière professionnelle. On n’y apprend pas à chanter, on y apprend quoi chanter !
Qu’avez-vous retenu de plus important, selon vous ?
On m’y a appris à dire non ! Quand on est jeune, on veut dire oui à tous les engagements offerts. Et puis, parfois, on se retrouve niché ou cantonné dans des seconds rôles, parce que nous en avons trop accepté, ou dans des styles musicaux qui ne nous conviennent pas, du moins pas tout le temps. Je veux des rôles qui m’excitent, je veux le maximum de défis et de passion. J’ai également appris à accepter ma voix. Auparavant, je trouvais toujours qu’elle n’était pas assez haute, pas assez ronde, trop ceci ou cela. J’ai compris qu’il faut l’accepter comme elle est, et chérir son authenticité.
Risqueriez-vous de favoriser l’expressivité, quitte à perdre en qualité vocale ?
Non, je ne partage pas cette conception. Il ne s’agit pas d’un dilemme entre les deux. L’émotion nourrit la technique. On ne peut commencer, ni même penser à chanter avant d’avoir déjà une intention et une émotion qui s’y rattache. Et le résultat doit être la fusion de l’émotion et de la technique, viser la perfection des deux en une seule entité expressive. Il n’est pas question de l’un au détriment de l’autre.
Comment avez-vous cheminé vers le chant lyrique ?
J’ai amorcé mon cheminement très tard. Mon adolescence a été, pour le moins, ardue. J’ai été très rebelle, et en situation d’opposition avec ma famille. Au secondaire, j’ai fait partie d’un groupe de heavy metal. Un jour, les autres membres du groupe m’ont suggéré de suivre des cours de chant ! J’ai cherché un professeur et tenté l’expérience sans aucune référence à la musique classique. Je n’y connaissais absolument rien, de toute façon, zéro ! Et je ne visais certainement pas une carrière à l’opéra !
Mais ma première professeure m’a donné des disques à écouter, pour comprendre ce qu’est le chant. Du Brahms, du Schubert, du Dvorak. « Aaaaah, qu’est-ce que c’est que ça ? » me suis-je dit. Mais je suis partie chez moi avec la pile de disques. Et puis, dans mon sous-sol, tout noir, avec mon look gothique d’adolescente révoltée j’ai écouté Renée Fleming chanter « Song to the Moon » de Rusalka (Dvorak), Cecilia Bartoli chanter du Bellini, puis d’autres, et je me suis mise à trembler et à pleurer ! Je ne savais pas que la voix pouvait exprimer ce genre d’émotions aussi profondes. Je suis restée un bon bout de temps couchée par terre à regarder le plafond, fascinée, sans rien comprendre des paroles, mais remuée dans ma chair, dans mon âme ! J’étais alors en 5e secondaire, juste avant les inscriptions pour le cégep. Je pensais étudier en finances, sans grand enthousiasme, mais à partir de ce moment précis, j’ai vu ma voie. Je me suis dit : « C’est ce que je veux faire ! » Je me suis inscrite au Cégep de Saint-Laurent en chant, sans savoir lire la moindre note de musique, mais ils ont dû sentir cette passion qui m’habitait. Nathalie Deschamps et Joanne Fraser, entre autres, m’ont donné cette chance merveilleuse et je ne l’oublierai jamais.
Est-ce qu’il vous arrive encore de trouver cela difficile ?
Si quelqu’un vous dit que cela n’arrive jamais, c’est faux. Nous subissons tous ce genre de moments, à se rouler sur un sofa en pleurant. Il y a tellement de détails qui peuvent nuire à nos interprétations (et nous stresser) ! La nourriture, des émotions négatives, des virus, des distractions… Notre vie professionnelle dépend d’un instrument de la longueur de l’ongle du pouce (les cordes vocales), un instrument qui est situé en nous ! Un rien peut le perturber. Mais savez-vous quoi ? Si on nous demande, à chacun d’entre nous qui faisons ce métier avec passion, si nous voudrions faire autre chose, la réponse serait NON !! C’est la folie - la belle folie - de cette vie.
Caressez-vous des rêves à long terme en lien avec ce métier ?
J’aimerais beaucoup faire de la mise en scène un jour. Je ressens une forte connexion avec les metteurs en scène, avec leur façon d’imaginer l’univers à illustrer et auquel insuffler une vie. Et puis un jour, j’aimerais contribuer à implanter l’opéra dans les pays arabes, en particulier le pays de mes racines, la Tunisie.
D’ici là, on souhaite vous entendre et vous voir à Montréal, et au Québec, ce qui n’arrive pas encore assez souvent ! Le message est lancé aux maisons d’opéra d’ici…
Oui, ce serait très plaisant en effet. Je serais ravie de chanter devant ma famille et mes amis.