OPERA AMERICA: AGIR LOCALEMENT, PENSER MONDIALEMENT
La semaine du 18 au 21 mai 2016 fut placée sous le signe de l’opéra! Durant quatre jours, la conférence chapeautée par OPERA America, intitulée « Global Strategies – Local Action » (Agir localement, penser mondialement). L’hôtel Le Westin (Montr.al) a remis à l’ordre du jour la nécessité d’agir d’abord dans sa communauté tout en bâtissant des ponts et en établissant des partenariats grâce à des stratégies globales. Les directeurs de maisons d’opéra étaient invités à explorer les possibilités de collaboration sous toutes leurs formes et à trouver de nouveaux partenaires et alliés afin de faire face aux défis actuels, et anticiper les changements auxquels nous serons confrontés dans les années à venir.
Les discussions, tables rondes et allocutions auxquelles nous avons assisté ont été foisonnantes d’idées nouvelles. Ce fut l’occasion de présenter un vibrant plaidoyer en faveur des arts. Lors de la séance plénière d’ouverture du jeudi, Manon Gauthier, Responsable de la culture et du patrimoine à la Ville de Montréal, a souligné l’impact économique considérable de la culture sur l’économie québécoise, tandis que Pierre Dufour, Directeur général de l’Opéra de Montréal, parlait de Montr.al comme d’une ville « boulimique de culture ». Simon Brault, Directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada, a salué le gouvernement fédéral actuel qui compte investir massivement en culture. Il a également appelé les théâtres lyriques à « ouvrir les portes de l’opéra », par exemple en tendant la main aux réfugiés syriens et communautés des Premières Nations. Marc A. Scorca, Président et chef de la direction d’OPERA America, a rappelé l’importance de l’art dans la constitution de communautés dynamiques et invité les principaux acteurs du milieu à devenir des « activistes de l’opéra » en intégrant la musique lyrique dans chacune des facettes de leur vie quotidienne. Le cinéaste et metteur en scène François Girard, pour sa part, a souligné que l’aspect théâtral inhérent à cet art total qu’est l’opéra ne doit pas être négligé : son succès repose sur une rencontre réelle entre la musique et le théâtre qui permet de garder l’auditeur en éveil.
Le renouvellement des publics a été un fil conducteur qui reliait plusieurs des interventions. Quel avenir pour l’opéra ? Comment le rendre plus accessible ? Comment sera-t-il financé et comment diversifier les sources de revenus ? Comment attirer un nouveau public, notamment les jeunes, et changer leur perception de l’opéra ? Un constat s’impose : les abonnements sont en chute libre au profit des billets à l’unité, et cette tendance ira en s’accentuant. Pourtant, loin d’être pessimistes, ces échanges ont plutôt été l’occasion d’amorcer une discussion sur les meilleures pratiques et stratégies. De nombreuses initiatives se sont multipliées ces dernières ann.es : le désir de rejoindre les jeunes est partout présent, que ce soit par le biais du programme Coopéra de l’Opéra de Montr.al ou d’autres programmes jeunesse. Le premier contact avec l’opéra doit se faire idéalement dès l’enfance afin de stimuler la créativité et l’amour de l’art. Mark A. Scorca a notamment rappelé que l’opéra peut apporter aux jeunes des outils qui leur seront utiles toute leur vie.
Si personne ne détient de recette magique, tous ont prôné l’importance des nouvelles technologies, du Web, des réseaux sociaux et des moyens de communication électroniques de plus en plus sophistiqués et abordables. Certaines maisons d’opéra n’hésitent pas à solliciter les jeunes mélomanes fraîchement sortis de l’université afin de développer ce public des 18-30 ans si convoité. Plusieurs maisons ont ainsi mis sur pied des programmes d’ambassadeurs afin de créer des interactions avec ce segment d’auditeurs. C’est cependant la façon de faire connaître et de mettre en marché l’opéra qui doit être repensée. Dans le flot d’informations diffusées, comment s’assurer que le message se rendra à bon port ? Que veut-on communiquer ? Sur quelles plateformes?
Plusieurs maisons d’opéra aux moyens plus modestes ont choisi de se différencier et de se réinventer, notamment par la présentation d’opéras de chambre (moins chers à produire et voyageant plus aisément) ou encore par des commandes d’opéra, qui ont d’ailleurs explosé ces dernières années. Frayda B. Lindemann, Présidente du Conseil d’administration d’OPERA America, rappelle l’importance de ces voix nouvelles, m.me si le public a parfois besoin de temps afin d’en comprendre la portée. La relation entre les œuvres traditionnelles et les opéras contemporains a du reste donné lieu à des échanges passionnants; le choix exercé dans les œuvres du répertoire n’est pas fixe mais varie selon les générations. Il faut également mettre en place des conditions favorables, faire confiance aux compositeurs ainsi qu’aux artistes afin qu’ils puissent créer librement sans contraintes extérieures. Plus facile à dire qu’à faire en ces temps économiques moroses! Opera Memphis et Philadelphia Opera ont décidé d’aller à la rencontre de leur public en jouant dans des lieux inhabituels. Ces innovations ont un impact durable sur leur communauté et mettent l’auditeur au cœur du projet artistique, par exemple en créant des événements rassembleurs. Sur ce plan, les grandes compagnies d’opéra peuvent en apprendre beaucoup des plus petites!
Lors de la dernière session de samedi, Bernard Foccroulle, Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence, a affirmé que l’opéra se veut un moyen de cohésion sociale en favorisant le dialogue interculturel, contribuant ainsi à pacifier et à humaniser notre monde et donc à combattre le terrorisme. Cet invité prestigieux a mis en relief l’importance de la démocratisation de l’opéra ; il a cité l’exemple du pré-festival Aix en juin au cours duquel le public est appelé à échanger avec les artistes et à assister à des classes de maître. Peter Gelb, Directeur général du Metropolitan Opera de New York, a invité l’auditoire à prendre des risques calculés afin de donner un nouveau souffle aux productions d’opéra et éviter la stagnation artistique. Il a également souligné le changement qui s’opère au sein du public : la transition entre un public plus âgé et un jeune public doit être soigneusement planifiée. Bref, les initiatives visant à dépoussiérer l’image élitiste de l’opéra et faire connaître cette forme d’art à un public toujours plus vaste se multiplient. Plus que jamais, l’opéra se veut une forme d’art vivante qui donne un sens au monde qui nous entoure. Il convient de se la réapproprier, puisqu’elle appartient à tous et à toutes.