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BERNARD LABADIE : DE LA FLÛTE À BEC À LA FLÛTE ENCHANTÉE

BERNARD LABADIE : DE LA FLÛTE À BEC À LA FLÛTE ENCHANTÉE

(Photo: Bernard Labadie
@François Rivard)

De retour au pupitre après un combat héroïque contre un lymphome (cancer du système immunitaire) qu’il a gagné avec l’aide de sa sœur Lorraine dont il a hérité de cellules souches, le chef Bernard Labadie fait une rentrée remarquée en ce début d’année 2016. Après avoir dirigé les orchestres de Saint-Louis, Chicago et Toronto, les retrouvailles en février 2016 avec Les Violons du Roy et la Chapelle de Québec ont été émouvantes et ont permis aux mélomanes de la capitale nationale et de la métropole montréalaise de retrouver un chef en possession de tous ses moyens. Il était de retour au Palais Montcalm et à la Maison symphonique de Montréal pour la présentation de La passion selon saint Matthieu de Johann Sebastian Bach en mars 2016 à laquelle il a associé ses deux muses Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux. Dans ses réponses aux questions de L’Opéra, rédigées dans un train entre Montréal et Québec, Bernard Labadie commente son amour pour l’art lyrique et l’opéra en général et rappelle qu’au début de son parcours musical – et subitement – Mozart, Puccini et Richard Strauss ont fait concurrence à Bach!

 

DT: À quand remonte votre intérêt pour l’opéra ainsi que l’art lyrique et vocal ?

BL: Je ne viens pas d’une famille de musiciens ou de mélomanes, mais mon père écoutait à l’occasion les retransmissions du Metropolitan Opera le samedi après-midi. Ma vocation de musicien est venue beaucoup de la découverte de la musique de Bach alors que j’avais dix ans, sous l’influence d’une professeure de musique au primaire qui avait remarqué que je semblais avoir un certain talent… Je me suis passionné très tôt pour les grandes œuvres vocales de Bach (cantates, passions et oratorios), et mon premier coup de foudre pour la voix humaine vient de là, même si mon instrument – le seul que j’aie jamais joué – était la flûte à bec… Pas vraiment l’instrument qui ouvre normalement les portes du monde de l’opéra ! Lorsque j’ai choisi d’étudier la musique au Cégep de Sainte-Foy, je me suis inscrit sur un coup de tête dans la classe de chant de Michel Ducharme. L’univers de la flûte était bien étroit, et j’avais toujours aimé chanter dans des ensembles et des chœurs. J’avais une voix très limitée, forte mais avec un registre très court et un timbre disons un peu abrasif… Et surtout, j’étais un chanteur paresseux. Je préférais passer des heures à la bibliothèque à fouiller des partitions, avec toujours une prédilection pour le père Bach… Cela dit, ma formation de chanteur auprès de Michel, et ensuite auprès de Louise André à l’Université Laval, m’a ouvert à un univers musical beaucoup plus vaste, et c’est là que mon amour pour l’art lyrique et l’opéra en général s’est beaucoup développé. Subitement, Mozart, Puccini et Richard Strauss faisaient concurrence à Bach ! Comme étudiant, j’ai aussi participé à quelques productions universitaires comme choriste ou soliste. Si les résultats n’étaient certainement pas remarquables en ce qui me concerne, c’est là que ma passion pour tout ce qui est vocal s’est concrétisée et élargie.

 

DT: Quelles personnes vous ont marqué durant votre période d’apprentissage comme chef ? Et est-ce que certaines de ces personnes avaient un intérêt particulier pour l’opéra et l’art lyrique et vocal?

BL: Je suis essentiellement autodidacte pour la direction d’orchestre, mais j’ai suivi au fil des ans des stages avec Simon Streatfeild, Pierre Dervaux (au Domaine Forget et en France) et John Eliot Gardiner. Dervaux, que j’ai connu dans ses dernières années alors que son caractère légendaire s’était considérablement assagi, était un technicien impeccable qui m’a beaucoup appris sur le b.a.-ba du travail de chef. C’était un grand chef lyrique, mais je n’ai pas eu la chance de travailler ce répertoire avec lui. Gardiner, lui, était mon héros, et le demeure encore à ce jour à plusieurs égards pour sa soif de recherche perpétuelle et ses standards sans aucun compromis (même si son caractère est aussi légendaire…). Mon stage d’une semaine avec lui sur les opéras de Mozart en 1991 a changé ma façon de concevoir ce répertoire et aussi, dans une plus large mesure, mon métier. 

@Marc Giguère

DT: En tant que chef, votre travail et style de direction varie-t-il selon que vous dirigez un opéra, un oratorio ou d’autres œuvres mettant en valeur la voix humaine ? Quels sont vos rapports avec les interprètes, les metteurs en scène et les autres artisans de l’opéra ? Et les chœurs ? Quelle est votre approche à l’égard des choristes ?

BL: Fondamentalement, les principes demeurent les mêmes, sauf qu’à l’opéra, le chef n’est qu’une des têtes pensantes d’une production, alors qu’au concert, il est entièrement aux commandes.

Cela requiert donc une capacité à travailler en équipe, à faire des compromis pour le bien de l’ensemble de la production sans reculer sur les impératifs incontournables de la musique. J’ai eu la chance, à Québec et à Montréal, de faire beaucoup d’opéras à titre de directeur artistique: je choisissais donc mes collaborateurs et j’avais un contrôle plus complet sur nos productions (pour le meilleur et pour le pire !). Comme chef invité, notre rôle est plus limité, on n’a généralement rien à dire sur le choix de la distribution ou l’esthétique d’une production, et je trouve ça souvent plus difficile. Cela explique d’ailleurs en partie pourquoi, depuis mon départ de l’Opéra de Montréal, j’ai accepté de diriger seulement quelques productions d’opéra.

 

DT: Pourriez-vous partager avec nous des souvenirs de votre passage au Metropolitan Opera (Met) de New York ainsi que dans d’autres maisons lyriques du monde ? 

BL: Pour les raisons que je viens d’expliquer, je n’ai accepté au fil des ans que bien peu d’invitations comme chef invité à l’opéra ; ma vision du monde de l’opéra est donc partielle et plus très à jour… Mes expériences ont été exclusivement nord-américaines, et je dois dire que le modèle d’affaires de l’opéra de ce côté-ci de l’Atlantique se prête en général fort mal à la présentation du grand répertoire du XVIIIe siècle qui est ma spécialité, baroque autant que classique. Les salles sont trop grandes, le casting est trop lourd (justement à cause des salles), le temps de répétition (sur tout avec orchestre) est limité, les orchestres sont peu familiers avec ce langage, surtout celui de la musique baroque ; bref, les conditions sont rarement satisfaisantes, même si j’y ai vécu quelques expériences marquantes. L’orchestre du Met, il faut l’avouer, est une machine très impressionnante !

DT: Que retenez-vous de votre expérience comme directeur artistique de l’Opéra de Québec et l’Opéra de Montréal ? 

BL: Ma nomination à l’Opéra de Québec a constitué pour moi une chance incroyable. J’avais à l’époque une expérience très limitée de la chose lyrique professionnelle, et on m’a donné la possibilité d’apprendre mon métier dans d’excellentes conditions avec une équipe formidable et dans un environnement qui ne me mettait pas une pression indue sur les épaules. J’y ai eu pendant toutes ces années une collaboration exemplaire avec le directeur général Grégoire Legendre (devenu également directeur artistique après mon départ) et nous avons mis en avant plusieurs projets qui font encore ma fierté une quinzaine d’années plus tard, notamment la mise à contribution d’enfants des écoles de Québec pour la conception des costumes et des décors de certaines productions dans le cadre d’une initiative nommée « Dessine-moi un opéra ». Quant à l’Opéra de Montréal, j’y suis arrivé à une période difficile de l’histoire de la compagnie, et je n’y suis pas resté très longtemps parce que j’estimais ne pas être la personne de la situation. J’y ai fait toutefois des rencontres marquantes, notamment avec toute une génération de jeunes chanteurs québécois et canadiens qui sont devenus aujourd’hui des partenaires de travail réguliers, et j’y avais des collaborateurs compétents et dévoués à l’art dont je garde le meilleur souvenir. Plusieurs travaillent d’ailleurs encore pour la compagnie.

 

DT: Le Canadian Opera Company, où vous ferez vos débuts en janvier et février 2017, vous a confié la direction musicale de Die Zauberflöte (La flûte enchantée) de Wolfgang Amadeus Mozart. Comment comptez-vous vous préparer pour ce retour à l’opéra ? 

BL: J’ai accepté l’offre de Toronto parce que tout le monde me dit du bien de la compagnie, de son éthique de travail et de son orchestre, sans parler de sa salle. (En aurons-nous un jour une vraie à Montréal ?). La flûte enchantée est l’opéra que j’ai dirigé le plus souvent dans ma carrière et qui trône tout en haut de ma liste des œuvres à apporter sur une île déserte. Alors j’y replongerai avec un immense plaisir. Les grands opéras de Mozart comptent, avec les grandes fresques sacrées de Bach, parmi mes œuvres préférées toutes catégories.

@François Rivard

DT: Que pensez-vous du rayonnement des chefs et autres artistes lyriques québécois à l’étranger ?

BL: Je pense que nous vivons une sorte d’âge d’or de l’art lyrique au Québec. Chez les chefs, il y a bien sûr Yannick Nézet-Séguin dont les succès sont fulgurants, mais il ne faut pas oublier Jacques Lacombe qui vient d’être nommé à Bonn ni Jean- Marie Zeitouni qui dirige un peu partout, et Jean-François Rivest qui n’attend que la chance de faire plus d’opéras. Quant aux chanteurs, la liste des artistes qui nous font honneur sur les scènes internationales est bien connue et très impressionnante : Karina Gauvin, Marie-Nicole Lemieux, Hélène Guilmette, Marianne Fiset, Julie Boulianne, Michèle Losier, Frédéric Antoun, Philippe Sly, Étienne Dupuis, sans oublier des Ontariens formés à Montréal comme Joshua Hopkins et Philip Addis. Et cette liste n’est pas exhaustive… J’ai eu et j’ai encore la chance de travailler avec eux depuis plusieurs années et je peux témoigner de la vitalité exceptionnelle du vivier lyrique québécois. Je ne m’en cache pas, j’aime les chanteurs, j’aime travailler avec eux (même si je les torture parfois avec amour…). Et de constater le succès des nôtres ici et à l’étranger est pour moi une source d’immense fierté.

Karina Gauvin et Bernard Labadie, Les Violons Roy, Concert Porpora, Palais Montcalm, 2011 (@Marc Giguère)

Marie-Nicole Lemieux et Bernard Labadie, Les Violons du Roy et Festival de Lanaudière, 2009 (@Baptiste Grison / Festival de Lanaudière)

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