PORTRAIT - JOSEPH ROULEAU
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Il a participé à la création de l’Opéra de Montréal et de Québec, de même que de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Il a aussi participé à la mise sur pied du Concours musical international de Montréal, en plus d’avoir enseigné pendant de nombreuses années, tout cela en poursuivant l’une des plus brillantes carrières internationales du chant lyrique québécois et canadien. Rencontre avec un géant, un mentor et un passeur de f lambeau qui aime la jeunesse et souhaite toujours stimuler en elle le sens de la beauté et le goût de l’excellence : voici Monsieur Joseph Rouleau.
M. Rouleau, vous qui avez côtoyé beaucoup de jeunes en formation et en début de carrière, quel est l’enseignement primordial que vous avez toujours voulu leur inculquer ?
J’ai toujours commencé par leur poser une question : aimez-vous chanter ? Sans penser une seconde à la carrière et encore moins à l’argent, est-ce que chanter demeure une chose fondamentale pour vous ? La base est là. Vous devez constamment avoir à l’esprit le désir de produire un beau son et de l’offrir au public. Il faut être habité par l’idée de la beauté et la recherche de la qualité. Si vous avez cela en vous, vous pourrez faire le reste.
Y a- t - i l un piège à éviter absolument lorsqu’on amorce une carrière de chanteur lyrique ?
Il ne faut surtout pas aller trop vite ! Il n’y a rien de pire que d’attaquer un rôle trop tôt en carrière. Les conséquences peuvent être désastreuses. On peut abimer son instrument en le forçant, on peut aussi nuire à sa carrière en n’exploitant pas son plein potentiel alors que quelques années de plus auraient permis d’offrir une meilleure image de soi et de réaliser de meilleures performances. C’est très important. Et puis, en plus, le public ne sera pas dupe. Si on n’est pas prêt pour un rôle important, on ne pourra convaincre l’auditoire de la crédibilité de son personnage. C’est l’ensemble de l’œuvre et de la production qui en pâtira. Il faut être conscient de l’importance de commencer par des petits rôles, mais de les jouer avec la même passion que si c’étaient des premiers rôles !
Vous avez joué 129 rôles dans votre carrière. Les avez-vous tous aimés autant ?
Il le faut ! Quand on interprète un rôle secondaire, il faut le voir comme un rôle primordial et travailler à le rendre aussi fort que les autres, sinon plus ! C’est par ce travail acharné qu’on progressera comme chanteur et comme acteur, et c’est ainsi que l’on fera vibrer tout l’opéra. Si le compositeur a créé ce rôle, c’est parce qu’il avait sa place. On mesure la qualité d’une production d’opéra à l’excellence des petits rôles ! Non pas bons ou corrects, mais excellents ! Ils propulsent toute la production vers le haut. On ne peut jamais s’asseoir sur ses lauriers.
Quelle expérience vécue comme jeune chanteur considérez-vous comme ayant été fondamentale pour votre développement ?
L’obtention de la Bourse Archambault (l’ancêtre du Concours OSM-Standard Life) en 1949. C’était 1000 dollars. Cela m’a donné confiance et m’a permis d’aller étudier à l’étranger. Le plus drôle, c’est que je l’ai obtenue de manière peu conventionnelle. Après avoir chanté quelques airs, on me donne une partition (du solfège), à interpréter à vue. Au bout d’une ou deux mesures, les juges m’arrêtent et me demandent si je vais bien. Je réponds : « Je ne connais rien au solfège, messieurs ». Sur ce, ils me disent merci et je pars. Lorsqu’on a annoncé que j’avais gagné, les juges ont dit que c’était parce que j’avais une belle voix, mais aussi parce que j’avais dit la vérité ! Les jeunes d’aujourd’hui sont gâtés par rapport à ce que j’ai connu : il y a beaucoup de bonnes écoles et universités, plusieurs concours pour se faire valoir et de nombreuses bourses d’études pour étudier un peu partout en Europe.
Qu’est-ce qui a le plus changé pour les jeunes par rapport aux générations précédentes ?
La technologie ! C’est fabuleux tout ce que les jeunes peuvent faire, et tout ce à quoi ils ont accès au bout d’un simple petit appareil. Des encyclopédies musicales à portée de main, dans un appareil gros comme une poche, la possibilité de s’enregistrer et de diffuser ses performances en atteignant un large public (Facebook entre autres !), etc. C’est une excellente chose. Mais, ça n’enlève pas, cela dit, l’importance du travail. Ce sera toujours l’une des clés du succès : du travail acharné, incessant, sérieux et consciencieux. Mais avec de meilleurs outils de diffusion et d’apprentissage, disons que la nouvelle génération a quelques cartes supplémentaires dans son jeu.
Quels seront les prochains défis à relever pour amener la scène lyrique d’ici à un niveau supérieur, selon vous ?
Il faudra mettre plus d’argent dans cet art. L’opéra coûte cher, mais c’est un art total, et donc fondamental. Il faudra qu’un porteur de ballon convainque à la fois les pouvoirs publics et privés d’y investir beaucoup plus. La ville de Montréal pourrait être cet ambassadeur, peut-être. Après tout, l’opéra est une image de marque pour la métropole. Ce serait un défi à la mesure de Denis Coderre, un homme qui aime beaucoup l’opéra !