RENCONTRE AVEC : Magali Simard-Galdès : Written on Skin... comme une escalade en montagne !
Dans ce parcours lyrique qui est maintenant le vôtre, qu’est-ce qui vous aura mené vers Written on Skin?
Si j’ai été invitee à prendre ce rôle par le directeur artistique de l’Opéra de Montréal Michel Beaulac – ce dont je lui suis très reconnaissante – c’est sans doute en raison du fait que j’ai démontré, notamment lors de mon passage à l’Atelier lyrique, de l’intrêt pour l’opéra contemporain et que j’ai une certaine aisance avec ce répertoire. Je suis capable de maîtriser une partition d’opéra contemporain et j’ai pour cette musique une facilité de lecture. Ma formation musicale ayant débuté avec l’apprentissage du violon dès l’âge de quatre ans, j’ai pu acquérir une bonne connaissance du solfège. J’ai également eu une vie d’orchestre qui me permet de bien suivre un chef ou une cheffe, Véronique Lacroix étant d’ailleurs celle qui m’a initiée au répertoire des XXe et XXIe siècles avec l’Ensemble de musique contemporaine du Conservatoire de musique de Montréal.
La préparation d’un opéra contemporain, tel Written on Skin, a-t-elle des exigences particulières ?
Oui, en ce qu’elle exige de la recherche supplémentaire, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’opéra baroque. Un air de Haendel de huit minutes, avec un ABA da capo ornemente, c’est très exigeant. Cela l’est tout autant pour l’opéra contemporain, qui suppose aussi de la recherche supplémentaire, d’avoir un intérêt pour le solfège et de valoriser la précision. Dans l’opéra disons plus traditionnel, on peut chanter un air trois fois et s’en souvenir. Dans l’opéra contemporain, cela peut prendre cinq cents fois avant que l’on se rappelle des lignes vocales d’airs qui sont souvent fort complexes. Bien que ce soit difficile, l’on ne devrait jamais le faire à reculons.
Plusieurs artistes lyriques du Québec ont abordé
ce répertoire, les noms de Michèle Losier, Julie
Boulianne et Frédéric Antoun me viennent
à l’esprit. Il y a aussi Pauline Vaillancourt,
Marie-Annick Béliveau et de multiples autres
chanteurs et chanteuses qui ont, comme elles,
pu apprivoiser le répertoire contemporain grâce
à la compagnie de création lyrique Chants libres.
Et je m’en voudrais de ne pas faire mention de
la soprano canadienne Barbara Hannigan dont
la carrière gravite, pour l’essentiel, autour de
l’opéra contemporain, ayant elle-même pris part
à la création de près d’une centaine d’œuvres
nouvelles. Même si je suis ouverte à d’autres
répertoires, une carrière comme celle de Barbara
Hannigan, celle qui a d’ailleurs a été la première
à chanter le rêle d’Agnès lors de la création de
Written on Skin au Festival d’Aix-en-Provence en
2012, me satisferait, voire me comblerait de joie!
Qu’est-ce que vous avez chanté comme opéras contemporains à ce jour ?
J’ai abordé le répertoire contemporain pour la première fois en chantant des lieder de Webern lors de la finale québécoise du Concours de musique du Canada. Dans le cadre de la série Hommage que la Société de musique contemporaine du Québec a consacré à Denis Gougeon en 2013, j’ai interprété l’œuvre pour soprano solo et ensemble de ce compositeur intitulée Heureux qui, comme... accompagnée par l’Ensemble Musique Avenir dirigeé par Véronique Lacroix. J’ai également chanté des œuvres de Gabriel Ledoux et de Carmen Vanderveken. À l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, j’ai participé à des ateliers autour de la création d’un projet d’œuvres de Tim Brady sur la Crise d’octobre. J’ai aussi tenu à intégrer une œuvre d’Ana Sokolović dans le programme du récital « Des femmes, une voix » que j’ai présenté à trente reprises dans le cadre d’une tournée des Jeunesses musicales du Canada en tant que lauréate du prix Maureen-Forrester. Je vais aussi bientêt créer le cycle de mélodies Chansons du Bonhomme de chemin de Michel Gonneville. Lorsque j’y pense, je n’ai pas encore chanté dans une production scénique d’opéra contemporain et Written on Skin sera donc une première pour moi !
Véronique Lacroix
Avant d’être invitée à incarner le personnage d’Agnès dans la production, connaissiez-vous l’opéra de George Benjamin?
Oui, je connaissais l’œuvre. Étant assez active sur les réseaux sociaux, j’ai vu circuler de l’information relative à la création de l’opéra au Festival d’Aix-en-Provence et sa présentation subséquente au Royal Opera House Covent Garden. J’ai pu apprécier la prestation de Barbara Hannigan à partir du DVD paru chez Opus Arte et je me suis dit : « J’aimerais tellement chanter dans cet opéra un jour». Je me suis intéressée au travail de Barbara Hannigan et me rappelle d’avoir été transportée pour son interprétation – et sa direction – des Mysteries of the Macabre de György Ligeti. J’ai été de même fascinée par l’histoire qui a inspiré le livret de Martin Crimp et à sa source originale, le conte occitan de Guillem de Cabestany ayant pour titre Le Cœur mangé. Je me propose d’ailleurs de lire d’ici le début de la production un essai qui s’intéresse à l’histoire de ce thème littéraire du Moyen Âge au XIXe siècle.
Barbara Hannigan
Photographie : Galit Rodan, The Globe and Mail
Comment abordez-vous la préparation cette œuvre?
J’aborde Written on Skin comme un nouveau défi. C’est comme un plongeon. J’aime décoder la psychologie des personnages. C’est très stimulant intellectuellement pour moi. En vérité, l’opéra de Benjamin est comme un casse-tête à résoudre. C’est un texte brillant qui, selon mon instructrice de théâtre, est l’un des plus beaux livrets d’opéra qu’elle ait pu lire. Il peut être interprété de dix mille façons. Les relations entre Agnès et son mari, avec « The Boy », de même que celle avec les Anges peuvent être abordées de multiples façons. Ce sont d’ailleurs des questions sur lesquelles je m’apprête à échanger avec le metteur en scène Alain Gauthier. Il nous faut trouver des réponses, qui seront reflétées par exemple dans la scène finale où Agnès mange le cœur de l'enlumineur. Cet acte a été interprété comme étant orgasmique, le paroxysme de la communion d’une femme avec son amant. Meurt-elle dans la joie ou dans la folie ? S’agit-il d’un affront absolu à son mari ? Je compte d’ailleurs répondre à ces questions et prendre des décisions sur la couleur à donner à ces relations avant le lever du rideau. Mais je resterai ouverte, je voudrai être attentive et à l’écoute une fois sur scène, pour être crédible, comme dans la vie. Il me faudra laisser de la place à la spontanéité.
À bien y penser, une autre image me vient
à l’esprit pour décrire ma préparation pour
l’opéra. Cette préparation est comme une
escalade en montagne – sport que je pratique
d’ailleurs – car il s’agit d’identifier son trajet,
d’emprunter différentes avenues, d’avoir en
mains les « beta » sur les méthodes pour se
rendre à destination et atteindre le sommet !
À quelques semaines de la première, êtes-vous confiante et vous sentez-vous respon- sable de la réussite de cette production de l’Opéra de Montréal?
Oui, je suis confiante, bien qu’il me reste beaucoup de travail à faire. Je vais avoir la chance de travailler avec le compositeur George Benjamin lors d’un prochain séjour à Londres. Je vais également poursuivre les échanges avec Barbara Hannigan. Elle m’a d’ailleurs fait promettre que je ne ferais pas d’Agnès une victime, comme cela semble avoir été le cas dans une production récente. Qu’elle sera en contrôle, qu’elle sera vue comme maîtresse de son destin. Et oui, je me sens responsable de faire de cette production un succès, d’autant plus qu’Agnès est le personnage central de l’œuvre. Agnès est la seule qui a un nom dans l’opéra. Ne le rappelle-t-elle d’ailleurs pas en ces termes : « I am not the woman, I am Agnès » ? Elle subit une grande transformation pendant l’opéra et l’œuvre gravite justement autour de cette évolution.
Peut-être, est-ce le sens de la responsabilité qui explique que je fasse – et je ne suis pas la seule, tous les chanteurs et toutes les chanteuses en font – des cauchemars ! Je rêve que je suis en répétition, que je ne me rappelle plus de l’air à chanter, que je me trompe de scène. Et je me réveille, soulagée que ce ne soit qu’un mauvais rêve et je me remets immédiatement au travail !
Quoi qu’il en soit, j’anticipe le plaisir d’être sur scène avec Florence Bourget, Jean-Michel Richer, Daniel Okulitch et le contre-ténor italien Luigi Schifano. Et de travailler aussi sous la direction de la cheffe Nicole Paiement dont la connaissance du répertoire lyrique contemporain nous sera d’un précieux secours. J’espère être, comme mes collègues, un modeste véhicule pour traduire la richesse d’une partition dont les textures et l’orchestration sont incomparables et permettre au public montréalais d’apprécier, à sa juste valeur, une œuvre exceptionnelle.
Magali Simard-Galdès... toujours en escalade