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PORTRAIT: ANNE-MARIE TRAHAN

PORTRAIT: ANNE-MARIE TRAHAN

Elle a évité une contravention grâce à Parsifal, est fascinée par les liens de l’opéra avec le monde juridique et a vécu certaines de ses plus belles expériences lyriques aux arènes de Vérone. Rencontre avec l’ex-juge Anne-Marie Trahan.

Mme Trahan, comment est né votre amour de l’opéra? 
C’est une histoire de jeunesse. Mon père, qui chantait faux et qui nous gardait pendant que ma mère faisait les courses, écoutait l’opéra du samedi au Met. Il y avait des chanteurs dans sa famille (du côté Dufresne). Il y en a un qui a même chanté à l’Opéra de Paris! Mon grand-père maternel écoutait des opéras avec moi quand j’allais passer du temps chez lui pendant l’été, et me disait : « Écoute comme ils chantent avec passion! ». Il faut dire qu’il avait lui-même un lien particulier avec les artistes : il était agent général, à Montréal, pour le trafic de passagers du New York Central dont les trains emmenaient les troupes du Met en tournée à Montréal! Il aidait M. De Sève qui les faisait venir au Théâtre Saint-Denis. Mon grand-père avait des photos dédicacées de tous ces chanteurs, dont j’ai hérité!

Quel est votre opéra préféré?
Sylvia L’Écuyer de l’émission « Place à l’opéra » sur ICI Musique m’a déjà posé cette question. Il y en a trois, en ce qui me concerne : Don Carlos de Verdi, Fidelio de Beethoven et Carmen de Bizet. Ce sont trois opéras qui ont des ramifications sociales, politiques, historiques et juridiques fascinantes. En tant qu’ex-juge, ce sont des sujets qui me passionnent.

Les liens juridiques à faire avec l’opéra sont-ils nombreux?
Oui, il n’en manque pas. Prenez le cas de Tosca. C’est un opéra écrit au moment où on rédigeait les premières conventions internationales contre la torture, après la guerre de Crimée. L’un des librettistes (Giacosa) était avocat; il était sûrement au courant de ces travaux. Déjà, au siècle des Lumières, Cesare Beccaria avait écrit que la torture est barbare. Beccaria avait aussi prôné le droit de se justifier et celui de se taire, en matière criminelle. Ces notions sont évoquées dans Aïda!
Considérez aussi La Clémence de Titus de Mozart : Titus dit qu’il ne peut condamner Sextus sans l’avoir entendu, une autre notion juridique fondamentale qui naissait à cette époque.
Et dans Les Noces de Figaro, le comte revendique : « Moi aussi j’ai droit au bonheur ». Les Noces ont été écrites par Beaumarchais, qui est allé enseigner un temps aux États-Unis et qui était aussi un ami de Lafayette, grand acteur de la Révolution et de l’Indépendance américaines. Or, n’est-il pas écrit dans la Constitution de ce pays « Life, Liberty and the Pursuit of Happiness »?
On pourrait poursuivre sur cette voie très longtemps! C’est fascinant.

Si un opéra pouvait sauver le monde, quel serait-il?
Les trois opéras nommés plus haut parmi mes préférés feraient tous un excellent travail! Carmen se bat pour sa liberté, en plus de s’appuyer sur un début de révolution du prolétariat. Et Fidelio nous montre une force de caractère exceptionnelle, le dévouement à une cause juste, et la volonté de se battre sans relâche pour la justice. Il y a de grands enseignements là-dedans.

Et l’opéra peut-il transformer les individus?
J’en suis convaincue, bien entendu. Mais il peut certainement réserver toutes sortes de surprises!  Voici une anecdote personnelle, mais savoureuse : en février dernier, au retour du Met où j’étais allée voir Parsifal dirigé par Nézet-Séguin, j’avais, disons, oublié un tantinet la limitation de vitesse... je me suis faite arrêter par un policier qui nous a demandé d’où l’on venait. Je lui ai dit que l’on arrivait du Metropolitan Opera, où on donnait Parsifal dirigé par Yannick Nézet-Séguin et mis en scène par François Girard, des compatriotes, etc. Eh bien, le policier m’a répondu : « Oh, such a beautiful opera »! Et là, il nous dit qu’étant donné que je n’avais jamais été arrêtée auparavant, et qu’il ne souhaitait pas ruiner une si belle expérience, il nous laisserait nous en aller !!

L’une des plus belles expériences vécues à l’opéra?
Oh, il y en a tellement... Je me rappelle ce que j’ai vécu quand j’ai travaillé à Vienne pendant deux ans. J’allais à l’opéra pour quelques schillings (environ 1 dollar!). J’étais debout, mais c’était inoubliable. D’autres souvenirs, plus forts encore, sont associés aux arènes de Vérone, un amphithéâtre naturel extérieur dans lequel on donne des opéras avec des décors et des mises en scène somptueuses, dans un environnement tout simplement merveilleux. Quelques minutes avant le début de la représentation, on sonne trois coups de gong, ce qui donne le temps aux spectateurs d’allumer des chandelles qu’on leur donne, et l’ouverture de l’opéra se fait à la lueur de ces bougies. Ah, c’est d’une beauté sublime.

Que manque-t-il à Montréal pour vous rendre heureuse?
Une maison d’opéra!

On se la souhaite! Merci!
Merci!


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