Opéra de Montréal- Une Lucia de Lammermoor musicalement dramatique
Gregory Dahl (Enrico) et Kathleen Kim (Lucia)
Lucia de Lammermoor de Gaetano Donizetti
Opéra de Montréal, 2019
Photographie : Yves Renaud
Œuvre-phare du répertoire lyrique du XIXe siècle, Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti est certainement l’un des opéras les plus connus et joués de la période romantique italienne. Elle représente d’ailleurs aussi très bien le bel canto italien, fait que l’Opéra de Montréal avait repris dans la campagne publicitaire pour sa deuxième production de la saison.
Dans une histoire typique de l’Ottocento, Lucia di Lammermoor reflète parfaitement les principaux sujets des opéras de l’époque qui sont presque sans exceptions constitués de triangle amoureux, de haine, de jalousie et de vengeances très souvent sanglantes.
Le synopsis de l’œuvre, qui se déroule dans l’Écosse de la fin du XVIe siècle, débute avec le personnage d’Enrico Ashton qui, aux prises avec des problèmes de pouvoir, promet la main de sa sœur Lucia au Lord Arturo. Toutefois, la jeune femme vit une profonde histoire d’amour avec Edgardo, même s’il est l’ennemi juré de la famille Ashton. Les deux amants se promettent fidélité alors qu’Edgardo quitte pour la guerre. Restée plusieurs mois sans aucune nouvelle, Lucia reçoit une fausse lettre préparée par Enrico démontrant l’infidélité d’Edgardo. Ce stratagème lui permet alors d’obliger Lucia à donner sa main à Arturo. Dépourvue d’espoir, la jeune sœur signe son contrat comme celui d’un arrêt de mort. Elle épouse le Lord et c’est alors qu’Edgardo revient, prêt à se battre pour sa muse. Il est cependant rapidement arrêté par Enrico qui lui montre le contrat de mariage signé de la main de Lucia et Edgardo quitte furieusement la demeure. Dans un élan de folie, la pauvre femme tue Arturo et se présente toute échevelée et ensanglantée aux invités de la soirée. À ce moment précis, l’état psychologique du personnage permet ainsi à la soprano de déployer sa virtuosité technique. Elle s’emporte alors dans son insanité puis chante jusqu’à ce qu’elle se donne la mort. Dévasté, Edgardo qui entend sonner le glas, se suicide.
Au plan de la scénographie, les décors de Robert R. O’Hearn avaient l’avantage de situer l’œuvre dans le contexte de son récit, celle de la petite noblesse écossaise du XVIe siècle. Si l’imposante structure offrait un résultat scénique impressionnant, elle était parfois très, voire même trop sombre. La mise en scène de Michael Cavanagh, se déployait toutefois efficacement dans ce décor. Nous questionnerons seulement le choix de représenter Lucia comme une femme très faible en faisant chanter Kathleen Kim presque toujours affalée sur scène dans un apitoiement qui verse un peu trop dans la facilité. Car la Lucia de Donizetti est certainement de ces œuvres qui vieillissent mal en ce qui a trait à la représentation des genres. À notre sens, une mise en scène devrait tendre à nuancer les stéréotypes et Lucia offre pour cela un cadre très intéressant. L’acte tragique que commet la soprano à la fin de l’œuvre la distingue des personnages féminins passifs. Au contraire, Lucia, si elle semble d’abord se résigner à son sort, se révolte finalement de manière foudroyante. Il y a là matière à dresser un portrait psychologique beaucoup plus fin de l’héroïne, qui ne devrait pas passer aussi simplement de l’atterrement à la folie. Nous avons aussi pu observer quelques cafouillages lorsque tous les chanteurs se retrouvaient sur scène, notamment dans le tableau du mariage.
Malgré ces quelques problématiques scéniques, que d’émerveillements procurés par la jeune soprano américaine Kathleen Kim ! Elle a livré sa performance de Lucia avec brio, particulièrement dans la scène de folie « Il dolce suono » où le public a pu ressentir de vibrants frissons de sa voix si étincelante. Profondeur, musicalité et virtuosité étaient au rendez-vous dans toutes les mélodies offertes par cette incroyable cantatrice. Du côté de Frédéric Antoun dans le rôle d’Edgardo, sa voix profonde était limpide et pleine d’émotions. C’est toutefois dommage puisque la chimie n’était point au rendez-vous dans le jeu dramatique du couple principal. Gregory Dahl a quant à lui offert une prestation particulièrement convaincante d’Enrico. Véritablement à l’aise dans le rôle de l’antagoniste, le baryton incarne toujours si bien son rôle qu’il réussit à nous le faire détester avec plaisir.
Frédéric Antoun (Edgardo)
Lucia de Lammermoor de Gaetano Donizetti
Opéra de Montréal, 2019
Photograophie : Yves Renaud
Le rôle d’Arturo avait été confié à Mario Bahg, rôle qu’il a su incarner avec beaucoup d’esprit. Il faut dire que le choix de lui faire jouer le rôle d’un noble écossais affublé d’une très grosse perruque poudrée donnait un caractère particulièrement incongru à ce personnage. Sur ce point, la mise en scène et le costume donnait un résultat tout à fait judicieux qui mettait en évidence la superficialité et le grotesque de l’union arrangée entre Lucia et Arturo.
Si les premières mesures de l’œuvre offerte par l’Orchestre métropolitain, dirigé par Fabrizio Ventura, laissaient présager une soirée lourde et longue, l’ensemble s’est rapidement repris pour donner une prestation quasi sans faille. Musicalement dramatique, Lucia était encore une fois une réussite.
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Lucia di Lammermoor, opéra en trois actes de Gaetano Donizetti sur un livret de Salvadore Cammarano
Production : Opéra de Montréal
Salle Wilfrid-Pelletier, Place de Arts, 9 novembre 2019
INT : Kathleen Kim (Lucia), Frédéric Antoun (Edgardo), Gregory Dahl (Enrico), Oleg Tsibulko (Raimondo), Mario Bahg (Arturo), Florence Bourget (Alisa), Rocco Rupolo (Normanno) et le Chœur de l’opéra de Montréal
DM : Fabrizio Ventura
ORC : Orchestre Métropolitain
MES : Michael Cavanagh
- Production