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CRITIQUE- LIVRE- Et la vie... de Fernande Chiocchio... continue !

CRITIQUE- LIVRE- Et la vie... de Fernande Chiocchio... continue !


Richard Raymond, Et la vie continue ! Une biographie de Fernande Chiocchio, Montréal, Société d’art vocal de Montréal 2019, 227 p.  

Alors que le Québec peut s’enorgueillir avec raison de la place que ses artistes ont occupé et occupent encore aujourd’hui dans la vie lyrique nationale et internationale, trop rares sont les biographies qui leur ont été consacrées. Sans être exhaustif, on peut citer celles d’Emma (Lajeunesse) Albani a eu droit à deux biographies de Napoléon Legendre (A. Coté, 1874) et Pierre Vachon (Lidec, 2000), Raoul Jobin a pu compter sur Renée Maheu pour perpétuer sa mémoire (Belfond, 1983), la vie d’Éva Gauthier a été récemment célébrée par Normand Cazelais (Fides, 2016) et l’itinéraire artistique de celui qui vient de nous quitter, Joseph Rouleau, ayant été décrit par Jacques Boucher et Odile Thibault (Fondation des Jeunesses musicales, 2004).  

C’est aujourd’hui à la Société d’art vocal de Montréal que revient le mérite de pérenniser la carrière d’une autre grande artiste lyrique d’ici, Fernande Chiocchio... et qui plus est de le faire de son vivant ! La société publie une biographie de la grande mezzo-soprano québécoise pour souligner, comme l’écrit le cofondateur et directeur général de la Société- et préfacier de l’ouvrage - André Lemay-Roy, le 90e anniversaire de l’artiste dont il rappelle qu’elle est « toujours active, alerte et droite telle une bougie rassurante » (p. 5).  

L’auteur de la biographie, l’écrivain Richard Raymond (voir encadré), nous en fait la démonstration dans un ouvrage qui décrit le parcours de la chanteuse depuis sa naissance à Montréal le 29 mai 1929. Ce parcours est introduit par quatre courts développements sur les origines, les parents, la jeunesse et les débuts de la chanteuse. On y apprend notamment que son patronyme Chiocchio a été une source de confusion dans l’oreille québécoise, l’auteur rappelant que l’artiste n’est pas asiatique, ni japonaise, comme l’ait laissé entendre une auditrice après une entrevue accordée à la radio dans les années 50 » (p. 11), mais qu’elle est « d’origine italienne par son père [Michele Chiocchio] et elle est Québécoise par sa mère [Réjane Bastien] » (p. 11). Mais on y est informé aussi, relativement à ses débuts, que sa première présence sur scène remonte au 13 décembre 1948, alors qu’elle n’a que 19 ans, et qu’elle chante dans le cadre des concerts Sarah Fisher au Ritz Carlton un programme d’œuvres de Bach, Massenet, Fauré, Haendel, Saint-Saëns, Durante ainsi que Schubert et Giordiani en rappel ». (p. 11).  

De ce vaste répertoire et des suites de la carrière de Fernande Chiocchio, il est question dans cet ouvrage dont les développement subséquents sont présentés de façon chronologique, sur une base annuelle, de 1952 à 1973, et d’une façon plus sporadique pour la période s’étendant de 1997 et 2010, le livre se terminant par des conclusions formulées en 2018 par l’artiste elle-même. Ayant eu accès aux archives personnelles de madame Chiocchio, Richard Raymond décrit pour chacune des années les concerts et productions auxquelles la chanteuse a pris part. Il cite des extraits des critiques de ces évènements, ce qui permet de lire sous la plume d’une génération d’éminents critiques musicaux que furent Claude Gingras (La Presse), Gilles Potvin (Le Devoir) et Éric McLean (The Gazette) les éloges – assortis parfois de réserves - qui ont été faits des prestations de Fernande Chiocchio tout au long de sa carrière. L’auteur s’intéresse aussi aux contrats de la chanteuse et en outre aux cachets de l’artiste, ce qui permet d’apprécier les pratiques financières dans le milieu lyrique de l’époque.  

Tout au long du livre, ces informations font d’ailleurs l’objet de commentaires et confidences de Fernande Chiocchio, que l’utilisation d’italiques permet de facilement attribuer à la chanteuse. Ces observations revêtent un grand intérêt et nous projettent parfois dans l’avenir. Ainsi, commentant la présentation en 1962 de trois opéras de compositeurs québécois et canadiens (Une mesure de silence de Maurice Blackburn, Le Magicien de Jean Vallerand et The Fool de Harry Somers), la cantatrice écrit : « Ces trois opéras en un acte son intéressants : très différents d’écriture musicale. Les écoles de musique, tels les conservatoires, l’Université de Montréal et même l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal devraient présenter ces œuvres malheureusement oubliées » (p. 65).  

La participation de Fernande Chiocchio à la première québécoise et canadienne de l’Opéra d’Aran de Gilbert Bécaud fait l’objet d’un passage digne de mention (p. 103-108). Créé au Théâtre des Champs-Élysées à Paris en 1962, l’opéra est présenté à Montréal en 1965 et met d’ailleurs en présence le baryton Robert Savoie et le ténor André Turp quji avaient tous deux quitté le Royal Opera House, Covent Garden, pour chanter dans cette production. Elle est bien accueillie, mais n’échappe pas, comme en France à la controverse, comme en fait foi l’échange entre le maire Jean Drapeau, qui est l’initiateur de l’évènement, et le critique et compositeur Jean Vallerand, ce dernier n’appréciant guère la remarque  du premier magistrat de Montréal « voulant que l’opéra d’Aran serve de leçon à nos compositeurs » et qu’ils devraient comprendre « que ce n’est pas déprécier une oeuvre que d’y ajouter la mélodie » (p. 106).  

S’il n’est pas de facture musicologique et qu’il aurait gagné en lisibilité avec une structure et un plan plus élaboré, la biographie de Richard Raymond est une contribution utile à la connaissance et l’appréciation de la riche vie lyrique du Québec et à la place de choix qu’y a occupé la mezzo-soprano Fernande Chiocchio. Les derniers mots du livre lui sont d’ailleurs réservés et donnent au livre son joli titre : « La vie est magnifique… et elle continue » (p. 227). 

 L'auteur

Richard Raymond

Après avoir complété une maîtrise ès arts, Richard Raymond a enseigné la philosophie avant de se tourner vers le journalisme. Sa carrière échelonnée sur plus de trente ans, il l’a faite pour une part à la télévision et pour l’autre part sur le web. Parallèlement, il a mené, et continue de mener, une carrière d’écrivain. Il a notamment publié deux  recueils de nouvelles, Drôles de secrets aux Éditions Léméac  et Morsures aux Éditions Triptyques. En 2008. Il s’est découvert une passion pour l’opéra et il a agi comme blogueur associé à l’Opéra de Montréal.

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