CRITIQUE- Opéra Comique de Paris- Le Postillon de Lonjumeau… ou de la sagesse supérieure des femmes!
NDLR : Cette critique est également publiée dans la version imprimée du numéro 19 (Printemps 2019) de L'Opéra- Revue québécoise d'art lyrique, p. 42. La traduction française établie par le directeur de la revue Daniel Turp est suivie ci-après de la version originale italienne et de la traduction anglaise préparées par Caterina de Simone.
Production : Opéra comique de Paris
Salle Favart, 5 avril 2019
INT : Michael Spyres (Chapelou/Saint-Phar), Florie Valiquette (Madeleine/Madame de Latour), Franck Leguérinel (Le Marquis de Forcy), Laurent Kubla (Biju/Alcindor), Michel Fau (Rose), Yannis Ezziadi (Louis XV), Julien Clément (Bourdon)
DM : Sébastien Rouland
ORC : Choeur Accentus et Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
MES : Michel Fau
Louis Ernest Ladurée, inventeur du macaron et fondateur d’une patisserie devenue célèbre portant son nom à Paris, aurait été enthousiasmé par Le Postillon de Lonjumeau s'il était encore vivant aujourd'hui et, advantage encore, s’il avait assisté à la nouvelle production de cette oeuvre par l'Opéra Comique. Sous la direction artistique d’Emmanuel Charles et plus de 120 ans après sa dernière représentation dans la capitale française, une équipe de création dirigée par le metteur en scène Michel Fau et le designer de costumes de Christian Lacroix faisait renaître ce printemps l’opéra d’Adople Adam à la salle Favart.
Cette oeuvre a connu un immense succès dès ses débuts en 1836, comme en ont fait foi les 569 représentations qu’elle connut au cours des 60 années suivantes. Puis l'histoire de Chapelou, postillon ténor, et de sa charmante épouse Madeleine, abandonnée peu après le mariage, s’éclipse du répertoire et est vite oubliée.
Si le compositeur avait une connaissance approfondie de l'œuvre de Rameau, il était aussi un fervent admirateur de la musique écrite sous l'Ancien Régime. C'était donc un hommage à cette musique, même si elle était loin des goûts du Siècle des Lumières.
Cet opéra-comique est une sorte de vaudeville dont le livret d'Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick s'appuie sur des dialogues parlés et chantés pleins d'esprit dissimulant une analyse satirique de la société Louis XV. Ses 13 numéros musicaux témoignent pleinement de la capacité mélodique d'Adam et font discrètement allusion aux œuvres de François-Adrien Boieldieu, anticipant ainsi La fille du Régiment de Gaetano Donizetti.
Le Postillon de Lonjumeau dépeint en effet des personnages masculins stéréotypés comme le fringant Chapelou, tombeur de femmes qui aspire à une grande carrière de ténor, le ridicule Marquis de Corcy, directeur de l'Opéra à la recherche d'un nouveau jeune premier, et Alcindor, choriste contrarié. A la fin, ils seront toutes manipulés par Madeleine avec l'aide de sa servante Rose, prouvant ainsi la sagesse supérieure des femmes.
Sur scène, un gigantesque gâteau aux bonbons, que l’on retrouverait facilement à la aison Ladurée, des perruques rococo, des costumes spectaculaires et l'amusante Rose dont le rôle en travesti est interprété par le metteur en scène Michael Fau lui-même, contribuent à jouer la carte kitsch. Après tout, c'est un avertissement : « Attention ! Nous jouons avec la société de l'Ancien régime pour exprimer combien l'intelligence et la ruse l'emportent sur l'aristocratie ! ».
Pour faire revivre avec succès une œuvre comme Le Postillon de Lonjumeau, il fallait absolument un concept fort visant à mettre l’accent sur les interactions et des liens entre les personnages ainsi qu’une distribution puissante. C'est le cas puisque Michael Fau réussit à tricoter, à partir d’une d’une histoire simple, un spectacle dans lequel chaque mouvement, chaque regard et chaque geste font sens. On pourrait s'opposer à ce que ce paysage gigantesque réduise l'espace vital pour les interprètes et en particulier pour le Choeur Accentus bien préparé de l'Opéra de Rouen Normandie. Mais le résultat final est celui d'une reconstitution plausible de la mise en scène de Louis XV avec un fort effet « clin d'œil » à travers l'attitude exagérée de Chapelou-Saint Phar et la sottise du Marquis. Madeleine est considérée comme un vrai deus ex machina, dont la forte personnalité emerge dans sa transformation d'aubergiste paysanne en une Madame de Latour raffinée.
La direction musicale de Sébastien Rouland est quant à elle pleine de joie et en totale maîtrise de la dynamique, de l'équilibre entre l’orchestre et les interprètes, son point fort étant l’appui à l'instrumentation subtile que suggèrent les différentes situations. Ainsi, l'histoire se déroule sans heurts et les interprètes peuvent jouer et se produire naturellement.
Sur scène, le match juteux entre Chapelou et Madeleine se vit à travers le chant glorieux de Michael Spyres et de Florie Valiquette. Le ténor montre une fois de plus qu’il est très à l’aise dans le répertoire français. Sa diction immaculée, tant parlée que chantée, lui permet d'associer ses talents d'acteur à ceux de chanteur. Ce qui est plus important, c'est sa facilité à surmonter les difficultés techniques comme les sauts de plusieurs octaves et les arias atteignant le contre-ut qui marquent à eux seuls le renouveau de la pièce, rout comme son legato lisse et son passage fluide entre registres.
Je dois avouer que Florie Valiquette a été une belle découverte car je ne l'avais jamais entendue en direct. Sa voix de soprano veloutée se marie parfaitement avec le registre médium fort de Spyres et les notes graves puissantes. Le rôle de Madeleine se concentre sur une ligne vocale qui oscille entre un ton rustique et l'éloquence typique de la haute société. La Québécoise chante les deux parties avec une adhésion totale à la partition et s'attaque sans crainte aux trilles et aux agilités. Elle est tout en symbiose avec Michael Spyres, mais tout autant en confort avec Michael Fau en travesti. Sa Rose contribue à la réussite de la production.
Dans son role de Marquis, Franck Leguérinel est délibérément présenté comme un aristocrate ridicule et stupide, tandis que Laurent Kubla Alcindor est le paysan frustré typique qui souhaite devenir une star de l'opéra comme son ami Chapelou.
La fin heureuse montre la paix retrouvée où le jeune couple se réconcilie avec l'esprit et les compétences personnelles, laissant ainsi la scène entre les cris de bravos et les applaudissements nourris.
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Version originale italienne
Se Louis Ernest Ladurée, creatore del macaron e dell’omonima pasticceria parigina, fosse ancora vivo e avesse assistito ad una recita del Postillon de Lonjumeau riproposto all’Opéra Comique dopo 123 anni d’oblio, avrebbe di sicuro deciso di sponsorizzare il delizioso spettacolo realizzato dal regista Michel Fau con la collaborazione dello scenografo Emmanuel Charles e del couturier Christian Lacroix .
Dell’opera di Adolphe Adam, creata per la salle Favart nel 1836, si contarono 569 repliche in sessanta anni prima che la scure dell’oblio calasse immeritatamente sulle vicende del postiglione-tenore Chapelou e della sua sposa Madeleine, da lui abbandonata quasi all’altare. Adam, fine conoscitore delle composizioni di Rameau e più in generale grande estimatore della musica sviluppatasi nell’Ancien Régime, aveva così inteso omaggiare quel repertorio tipicamente francese che mal si adattava al secolo dei lumi nel quale viveva.
Sorta di vaudeville dai sapidi dialoghi che i librettisti Adolphe de Leuven e Léon-Lévy Brunswick avevano abilmente alternato ai versi musicati, le Postillon de Lonjumeau ha il suo punto di forza nella ricca componente satirica. Se dunque i 13 numeri della partitura dalla accattivante vena melodica strizzano l’occhio a Boieldieu ed anticipano in un certo qual modo il Donizetti de La fille du régiment, la tipizzazione dei personaggi maschili, sarcasticamente descritti, ne costituisce il pregio maggiore.
L’azzimato protagonista, tombeur de femmes e aspirante tenore in cerca di gloria e di successo, il marchese di Corcy disperatamente alla ricerca di un jeune premier per l’Opéra e persino Alcindor, corista frustrato del teatro, sono infatti presto raggirati dall’astuta Madeleine in combutta con la cameriera Rose.
Tra una torta nuziale bonbon che sembra uscita dalle vetrine di Ladurée, parrucche rococò, splendidi costumi sovrabbondanti di gale e pizzi prodotti dalla rutilante inventiva di Christian Lacroix, una cameriera en travesti che lo stesso Michel Fau impersona con gusto divertito, lo spettacolo gioca dichiaratamente la carta del kitsch quasi a voler dire “Attenzione, qui si ride sbeffeggiando la società dell’epoca di Luigi XV, ma l’astuzia è comunque vincente sulla ricchezza!”
Per fare uscire dall’oblio un’opera come le Postillon de Lonjumeau d’altronde è fondamentale che la produzione sia sinergicamente compiuta e che il cast assemblato risponda alle sollecitazioni registiche. Ogni movimento, interazione in palcoscenico, frase cantata e recitata, persino le occhiate in tralice che i personaggi si scambiano rendono il meccanismo teatrale leggero e vivo grazie alla perfetta direzione d’attori.
Si potrebbe obiettare che il palcoscenico è ingombro di cartapesta, dei fondali dipinti e delle scene volutamente finte così da limitare i movimenti dell’ottimo coro Accentus dell’Opéra Rouen de Normandie. Ma la ricostruzione ironica dei palcoscenici di epoca Luigi XV è verosimile così come l’enfatica gestualità del divo Saint Phar e dell’untuoso Marchese de Corcy. Al centro dell’intreccio è Madeleine, il vero deus ex machina, volitiva ed in grado di completare senza sforzo il percorso di trasformazione da ostessa a nobildonna.
Sébastien Rouland dal podio offre una lettura piena di brio ed è sempre attento a mantenere il passo teatrale al servizio di una strumentazione intenta a sottolineare ogni situazione buffa o malinconica. L’esile trama si dipana con naturalezza grazie al sostegno e alle dinamiche accattivanti oltre che all’attenzione al palcoscenico.
In scena il match a distanza fra il postiglione Chapelou e la sua Madeleine diverte il pubblico per la lussuosa presenza di Michael Spyres e Florie Valiquette. Il tenore statunitense conferma la sua naturale propensione per il repertorio francese e si dimostra oltre che eccellente cantante anche ottimo attore nelle parti recitate. La perfetta dizione francese e la facilità nell’affrontare le innumerevoli difficoltà tecniche, compresi i salti d’ottava e le micidiali salite fino al re sovracuto da sole valgono la riproposta dell’opera. A questo si aggiunge una perfetta omogeneità su tutta la gamma ed una capacità di legare e caricare d’effetto ogni singola frase musicale quasi insolenti.
Florie Valiquette è una piacevolissima scoperta che, pur non essendo dotata di un volume torrenziale, caratterizza con incantevole facilità sia la ruspante Madeleine che l’altera Madame de Latour. La sfida principale del ruolo sta infatti nel dover passare da una linea vocale all’altra attraverso volatine, trilli e agilità, il tutto con naturale vivacità. Il soprano québécois si dimostra all’altezza del compito oltre a mostrare un grande affiatamento con il protagonista e con il suo alter ego Rose di Michel Fau.
Il Marchese di Corcy di Franck Leguérinel è volutamente ridicolo, quasi il prototipo dell’aristocratico fatuo e stupido, così come Laurent Kubla grottescamente dipinge il rustico artigiano a caccia di gloria nel mondo dell’opera al seguito di Chapelou.
L’happy ending finale nel quale l’astuzia e la sagacia trionfano riunendo la coppia di sposi, finisce così per congedare un pubblico festante ed entusiasta.
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Traduction anglaise
Louis Ernest Ladurée who invented the macaron and started his own patisserie in Paris, would have been enthused by the Postillon de Lonjumeau if he were still alive today and had attended the revival produced by the Opéra Comique. 123 years after its last performance in Paris the creative team lead by the director Michel Fau with Emmanuel Charles’ art direction and Christian Lacroix’ costumes brings back the opera to the salle Favart.
Adolphe Adam’s piece debuted in 1836 to a huge success, so that records count 569 performances in the following 60 years. Then the story of Chapelou, postillon-tenor, and his lovely bride Madeleine, abandoned soon after the marriage, disappeared from repertoire and was quickly forgotten.
The composer had a thorough knowledge of Rameau’s works and he was also a fervent admirer of the music written during the Ancien Régime. Therefore his was a tribute to that music even though it was far away from the Age of Enlightment tastes.
This was a sort of vaudeville whose libretto by Adolphe de Leuven e Léon-Lévy Brunswick relied on witty spoken and sung dialogues hiding a satirical analysis of Louis XV society. Its 13 musical numbers fully display Adam’s melodic ability and discreetly hint at Boieldieu’s works thus anticipating Donizetti’s La fille du Régiment.
Le Postillon de Lonjumeau effectively portraits stereotyped male characters like the dashing Chapelou, tombeur de femmes who aspires to a grand career as a tenor, the ridiculous Marquis de Corcy, director of the Opera desperately looking for a new jeune premier, and Alcindor, frustrated chorus singer. In the end they will all be manipulated by Madeleine helped by her servant Rose proving women’s superior wisdom.
On stage a gigantic candy cake which one could easily find at Ladurée’s, rococo wigs, spectacular costumes and the amusing Rose whose role en travesti is performed by Michael Fau himself, contribute to play the kitsch card. After all this is a warning: “Beware! We are playing with the ancient régime society only to express how intelligence and cunning win over aristocracy!”
To revive a work like Le Postillon de Lonjumeau one definitely needs a strong concept showing perfect interactions and connections between characters and a powerful cast. This is the case as Michael Fau has perfectly knit the feeble story so that each movement and glance and gesture easily fit the performance. One might object to the gigantic scenery reducing the vital space for singers and specifically for the well prepared Chorus Accentus by the Opéra de Rouen Normandie. But the final result is that of a plausible reconstruction of Louis XV staging with a strong tongue-in-cheek effect through Chapelou-Saint Phar exaggerated attitude and the Marquis silliness. Madeleine is seen as the real deus ex machina, her strong personality emerging from the peasant innkeeper to inhabit the refined Madame de Latour.
Sébastien Rouland conducting is full of joy and in total command of dynamics, the balance between pit and cast his strong point just like his support to the subtle instrumentation suggesting the different situations. Therefore the simple story goes on smoothly and the singers can act and perform naturally.
On stage the juicy match between Chapelou and Madeleine lives through Michael Spyres and Florie Valiquette glorious singing. The tenor once more shows his closeness to the French repertoire. His immaculate diction both in spoken and sung parts pairs his actorial skills. What’s more important his easiness in overcoming the technical difficulties like the several octave jumps and the arias reaching the contre-ut mark alone the revival of the piece just like his smooth legato and seamless passage between registers.
I must confess that Florie Valiquette was a remarkable find as I had never heard her live. The voice is not large but her velvety soprano is the perfect match for Spyres strong middle register and powerful low notes. Madeleine’s role focuses on a vocal line which shifts between a rustic tone and the typical upper class eloquence. The québécoise sings both parts with a complete adherence to the score and fearlessly tackles trills and agilities. Besides the chemistry with the male lead and with Michael Fau’s en travesti Rose is a bonus to the whole performance.
Franck Leguérinel Marquis is purposedly portraited as a ridiculous and stupid aristocrat, while Laurent Kubla Alcindor is the typical frustrated peasant who wishes to become an opera star like his friend Chapelou.
The happy ending shows the regained peace where the young couple comes to terms through wit and personal skills thus leaving the stage among bravo cries and strong applauses.
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