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CRITIQUE : Canadian Opera Company- Hadrian de Rufus Wainwright : l’« alchimie lyrique » d’une « production peu imaginative »

CRITIQUE : Canadian Opera Company- Hadrian de Rufus Wainwright : l’« alchimie lyrique » d’une « production peu imaginative »

Présenté en première mondiale par la Canadian Opera Company (COC) le 13 octobre 2018 et né d’une première collaboration entre Rufus Wainwright et Daniel MacIvor, l’opéra Hadrian s’est révélé une relativement accomplie. L'expérience aurait pu être plus enrichissante si elle n'avait pas été liée à une production peu imaginative dont les costumes et décors semblaient avoir été repérés dans les recoins reculés des salles d'entreposage du Festival de Stratford.  

La structure de l’oeuvre est soldide et complexe. L'opéra commence dans la chambre de l'empereur romain Hadrien, où il pleure et néglige les affaires d'État après la mort de son jeune amant, Antinoüs. Deux fantômes lui rendent visite : son prédécesseur Trajan et l'épouse de Trajan, Plotina, la mère politique, voire biologique, d'Hadrien. Hadrien veut savoir comment Antinoüs est mort et Plotina promet de l’en informer s'il accepte de signer un document ordonnant la répression de la révolte juive dans la province romaine de Judée.  

Bien qu'elle soit présentée comme une combinaison des monstrueuses femmes impériales de la série I, Claudius de BBC 1 et du  personnage de Cruella de Vil, Plotina est un être sérieux qui voit la montée naissante du monothéisme dans l'Empire romain comme une menace à sa religion officielle et à la survie politique de l'Empire. Hadrien accepte le marché, et les fantômes le ramènent à deux nuits de son passé récent : la meilleure, quand il a rencontré Antinoüs, et la pire, quand Antinoüs est mort. Après avoir laissé Hadrien voir enfin comment son amant est mort - par la main du vieil ami de l'empereur Turbo, par loyauté envers l'Empire et de sa jalousie à l’égard de la relation entre les deux hommes - l'opéra revient à son point de départ, pour les derniers tutti ainsi que la mort et l’élévation d'Hadrien vers l’Elysium où Antinoüs attend.  

Tout ne fonctionne pas dans l’oeuvre. Il y a des moments dans les dialogues où la musique a de la difficulté à s’imposer, n’agit pas comme une passerelle vers le texte. Certaines scènes clés sont  musicalement trop longues et mériteraient d’être écourtées. Il y avait aussi des problèmes d'équilibre entre la fosse et la scène, car les voix étaient noyées par une explosion soudaine ou prolongée des cuivres. Mais il y a de beaux moments - et nombre suffisant d’ailleurs, d'alchimie pour qu’opère une alchimie lyrique chez Hadrien, où le texte et la musique semblent être faits l'un pour l'autre.  

La partition est, aux deux tiers, non mélodique et dissonante, mais rafraîchissante et sans prétention. Émergent parfois es solos instrumentaux inattendus, et l’on peut demander à plus d'une reprise pourquoi encore les cuivres... et pourquoi ici ? Le compositeur aura réservé par ailleurs le matériel le plus mélodique pour l'interlude orchestral lors des amours d'Hadrien et d'Antinoüs et pour l'Entr'acte de Robigalia.  

Le lyrisme mélancolique semble avoir été réservé pour Sabina : Ambur Braid, en tant qu'épouse mal-aimée d'Hadrien, livre l’air « Will you have Egypt with me" » avec une virtuosité digne de Puccini. Déguisée en Sibylle, elle s’est fait remarquer par quelques aigus stratosphériques, aussi logiques que justes, se distinguant également dans un trio Straussien avec Hadrien et Antinoüs. Sa voix n’aura jamais été aussi belle et pure, ses couleur et chaleur aussi généreuses, son chant sans effort.            

La Plotina de Karita Mattila séduit dès son premier air dont les inflexions de jazz et les lignes sinueuses charment tout autant. En dépit du fait que la partition l’oblige à chanter un nomvre significatif de notes graves, elle relève ce défi. Plotina serait cependant un personnage plus accompli si elle n'était pas jouée comme une Norma Desmond en jupe cerceau. Elle apparaît déguisée en Sibylle (oui, elle aussi!) dans une scène qui est probablement un clin d'œil aux sorcières Azucena et Macbeth de Verdi, se voulant ne exagération frôlant la parodie.  

Rufus Wainwright fait fond sur la tradition, tout en la surmontant en même temps dans la « chanson à boire » de l'Acte III. Ici, il évite le cliché de la bonne humeur dansante avec un numéro d'ensemble sombre et espacé, dominé par la résidente du COC ensemble et soprano Anna-Sophie Neher qui dans son personnage de Lavia, est en confiance  

Antinoüs était-il destiné à être une sorte de Mélisande éphèbe ? Un personnage mystérieux et taciturne....le calme dans l'œil de la tempête qui se prépare autour de lui ? Le metteur en scène MacIvor lui confie d’importantes choses à dire, notamment dans son air, prenant la forme d’une déclaration proto-monothéiste sur l'unité de l'humanité et même des deux sexes et faisant allusion à l'épître de saint Paul aux Galates. « Je suis le Juif et le Nazaréen/Je suis le besoin et le réconfort », chante Antinoüs assis sur une péniche du Nil à côté de la suite mécontente de l'Empereur. « Homme et femme/un seul esprit/un seul cœur », où il pourrait paraphraser saint Paul : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme.» Les Romains qui l'entourent ne sont pas très contents. Le ténor Isaïe Bell s’est vu d’ailleurs confier la tâche peu enviable de porter le moins de vêtements possible de tous les personnages dans chacune de ses scènes. Sa voix était doté d’un bon volume et solide, bien que sa musique était simple et déclarative, jamais ouvertement émotive.

Et s’agissant de la dimension sexuelle de la production, elle a bien traduite dans la musique et la chorégraphie. Si le sexe se voit réserver une place sur les scènes lyriques d'aujourd'hui, y compris le sexe gai, comme en font foi les opéras Brokeback Mountain de Wuorinen et Proulx ou Leçons d'amour et de violence de George Benjamin, ou tout mezzo avec soprano L'incoronazione di Poppea récent). Mais le sexe homosexuel masculin, présenté comme joyeux et décontracté, et non pas empreint de regrets, est encore rarement dépeint. Je pense donc que l’opéra Hadrian est en cela pionnier en la matière. De plus, il est une scène de l’opéra qui ajoute une strate de connaissance à la relation entre les deux principaux personnages. Alors qu’Antinoüs domine l'Empereur, celui qui est incomparablement plus puissant en dehors de la chambre à coucher accepte d'être - en fait, prend plaisir à être - impuissant devant quelqu'un n’ayant que la moitié de son âge et un son statut social bien inférieur.  

Quelques derniers mots sur la production et la mise en scène de Peter Hinton. Son esthétique est surtout « réaliste », comme on le voit dans les versions télévisées de la Rome antique et au théâtre musical, à l'exception d'une présence constante de corps d'hommes nus. Il y a des façons de créer une atmosphère d'homo-érotisme et la présence d’hommes musclés, aux fesses nues, traînnnt constamment en arrière-plan, ne comptes pas parmi les plus subtiles. D'autres personnages sont vêtus de costumes et toges de centurion qui ont l'air ridiculessur une scène d'opéra contemporaine. A-t-on tenté à un moment ou à un autre une version plus stylisée et moins télévisée de la mode romaine ? Plotina est en définitive le seul personnage revêtu d’un costume plus libre et traverse les époques, les autres semblant être inspirés du film Life of Brian.  

Les membre du Chœur du COC, en grand nombre pour cette production, sont vêtus de noir de la tête aux pieds pour la puissante scène finale à l’occasion de laquelle Thomas Hampson (toujours la vedette, même avec une voix feutrée) livre un air de fin de vie en considérant comment la postérité se souviendra de lui. Règne paisible dans l'Empire....temples et monuments...sa suppression du soulèvement juif ? Ou qu'il a jadis aimé ? Il n'y aura toutefois pas de fin heureuse à la hollywoodienne, car derrière la réconciliation d'Hadrien et d'Antinoüs dans l'au-delà, le Chœur inaugure une nouvelle ère de monothéisme et le tonnerre de ses guerres  

Je reverrais cet opéra. Si je pouvais garder les acteurs et Johannes Debus dans une production différente.  

* Cette critique a été publiée à l’origine dans Opera Canada, vol. LIX, no 2 sous le titre « Hadrian offers “operatic alchemy” despite “unimaginative production” » et est accessible sur le site électronique de ce magazine à l’adresse http://operacanada.ca/canadian-opera-company-hadrian-review.  

Hadrian, opéra en quatre actes de Rufus Wainwright sur un livret de Daniel MacIvor

Production : Canadian Opera Company
Four Seasons Centre for the Performing Arts, Toronto, 13 octobre 2018

INT : Thomas Hampson (Hadrian), Karita Mattila (Plotina), Isaiah Bell (Antinous), Ambur Braid (Sabina), Ben Heppner (Dinarchus), David Leigh (Turbo)
DM : Johannes Debus
OR : Canadian Opera Company Orchestra
CH : Canadian Opera Company Chorus
MS : Peter Hinton

Production
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