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PORTRAITS- ARTISANE- Louise Leblanc, photographe lyrique... et espionne de l'opéra !

PORTRAITS- ARTISANE- Louise Leblanc, photographe lyrique... et espionne de l'opéra !

Louise Leblanc... par Louise Leblanc !

Autodidacte, Louise Leblanc exerce le métier de photographe depuis plus de 30 ans dans notre Capitale nationale. Elle est sollicitée par des institutions, des groupes et des personnes de tous horizons et elle pérennise ainsi des évènements, mais racontent aussi, en images, leurs histoires. Elle est particulièrement appréciée dans le milieu culturel et notamment saisi les grands moments du Festival d’été de Québec. Le Conservatoire de musique de Québec fait appel à ses services et c’est à elle que l’on doit des crédits photographiques de plusieurs chefs et artistes lyriques, notamment de l’Orchestre symphonique de Québec et de l'ensemble Les Violons du Roy. Et l’Opéra de Québec en a fait sa photographe de production depuis près de 20 ans maintenant.
Découvrons Louise Leblanc, la photographe lyrique… et espionne de l’opéra !
 
Dans le milieu lyrique, vous êtes connue comme la photographe de production de l’Opéra de Québec, mais également du Festival d’opéra de Québec depuis sa création en 2011. D’où vient votre intérêt pour la musique ? Et quand avez-vous découvert l’opéra ? 

J’ai toujours aimé la musique. J’y ai été initiée, très jeune, et ai appris à l’apprécier en suivant des cours de piano. Je suis encore surprise aujourd’hui de pouvoir vous dire que j’ai même gagné un prix lors d’un concours en Angleterre, alors que j’y séjournais avec ma famille pendant un congé sabbatique de mon père. Et c’est même dans la capitale à Londres, que le prix m’avait été attribué !  

S’agissant de l’opéra, c’est au début de ma carrière de photographe que j’y ai été exposée, en étant invitée par le baryton Bruno Laplante à prendre des photographies du duo lyrique Laplante-Duval… que je continue d’ailleurs d’accompagner. Pour ce qui est de l’Opéra de Québec, ce sont des photographies d’une production de la compagnie lyrique québécoise commandées par le Grand Théâtre de Québec qui m’ont sans doute permis d’y faire mon entrée. Après avoir vu mes photographies, l’Opéra de Québec m’a confié le mandat de prendre les photographies de l’une de ses autres productions. C’était à la fin des années 1990… et cela se poursuit depuis ! Depuis lors, j’ai fait les photographies de toutes les productions de la compagnie et de son festival … et je me compte bien chanceuse pour cela !  

En devenant une « photographe lyrique », est-ce que l’on développe des techniques spéciales pour cette forme d’art total qu’est l’opéra ?  

Je dirais qu’on développe une approche photographique particulière, dans la mesure où il y tant d’éléments devant capter l’attention de la photographe à l’opéra, qu’il s’agisse des décors, des costumes, des éclairages, mais aussi - et sans doute surtout - des solistes et des choristes. Je m’efforce d’avoir une vue d’ensemble d’une production, mais j’essaie, aussi et avant tout, avec mon œil de photographe, de saisir les moments les plus émouvants. J’anticipe la conclusion d’une phrase musicale et cherche à arrêter dans le temps le moment unique où tout converge… pour créer du merveilleux et de la beauté. Je suis toujours aux aguets, mais je me laisse aussi surprendre et convaincre… par l’instant où la sincérité de l’artiste et la magie qu’opère souvent la forme d’expression musicale qu’est l’opéra sont au rendez-vous.

Erwartung d'Arnold  Schoenberg
Festival d’Opéra de Québec, 2008
Photographie : Louise Leblanc

À quelle étape d’une production la photographe lyrique est-elle à l’œuvre ? Comment vous préparez-vous pour une production ?  

En règle générale, je prends mes photographies lors de la répétition générale de la production, mais il m’arrive parfois aussi de me présenter lors de la pré-générale. Je ne prends jamais de photographies lors de la première de l’opéra et lors des représentations subséquentes car je m’en voudrais de distraire ou nuire aux artistes et au public lors de la prestation de mes services. C’est sans doute mon amour de la musique et ma sensibilité pour les artistes et leur métier qui m’amènent d’ailleurs à vouloir me faire discrète lorsque je prends mes photographies. Je suis  par ailleurs toujours habillé en noir. Je suis comme une espionne  à l’opéra !  

Pour ce qui est de ma préparation, lorsque le temps me le permet, je lis le livret ou le relis car je commence à connaître le répertoire après 20 ans de travail à l’Opéra de Québec. Avant une production, je discute avec les personnes qui y sont associées et ai souvent des échanges avec le metteur en scène, le régisseur, les interprètes et les choristes. Je cherche aussi à identifier les solistes et les moments où sont chantés les duos et autres ensembles. Et je m’exécute dans cette salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec qui est un lieu très hospitalier pour une photographe comme moi.  

Vous donne-t-on parfois des instructions ou détenez-vous une large marge de manœuvre pour la prise de photographies ?  

Lorsque j’ai commencé mon travail à l’Opéra de Québec, l’on m’a fait savoir quels étaient les besoins de la compagnie. Et j’ai compris qu’il fallait saisir les moments importants, donner une importance particulière aux solistes et aux choristes, mais aussi aux effets visuels spéciaux, de plus en plus fréquents dans les productions récentes. L’on m’a aussi fait savoir que des photographies des décors seraient utiles dans l’hypothèse où de tels décors pourraient être loués à d’autres compagnies lyriques. J’ai toujours ces besoins à l’esprit maintenant. Il m’est arrivé que des metteurs en scène me demandent de capter un moment précis d’une production. Mais, à bien y penser, l’Opéra de Québec me laisse toute la liberté… ce que j’apprécie à sa juste mesure !  

Certaines de vos photographies prises à l’Opéra de Québec n’ont-elles pas eu un rayonnement au-delà de nos frontières ?  

Avec l’accord de l’Opéra de Québec, il est arrivé à plusieurs reprises que les droits de diffusion d’images de certaines productions, telles que L’amour de loin ou The Tempest dans les mises en scène de Robert Lepage et certaines autres m’aient été achetés par des institutions comme le MET. Plusieurs images de production ont également servi à illustrer des ouvrages pédagogiques, des magazines, livres,  sites internet d’ici et d’ailleurs dans le monde.


L’amour de loin de Kaija Saariaho
Festival d’Opéra de Québec, 2015
Photographie : Louise Leblanc  

Combien de photographies prenez-vous lors d’une production? L’avènement du numérique a-t-il modifié vos façons de faire ?

Il m’est arrivé de prendre de 600 à 800 photographies par production, mais la moyenne se situe entre 400 à 500. J’en conserve 200 à 250 et prépare pour chaque production un album photographique sur le web auquel je donne accès aux personnes associées à la production. J’ai archivé ces albums et toutes mes photographies, en deux endroits distincts, et elles sont classées par ordre chronologique. J’ai, à regret, perdu quelques photographies lorsque j’ai procédé à un archivage sur des disques durs à partir de photographies que j’avais conservées sur des CD et des DVD.  

Oui, l’avènement du numérique a révolutionné ma pratique de photographe. J’ai commencé  à l’ère du film et de la pellicule. Il fut une époque où je développais mes photographies, en chambre noire. J’ai aussi vécu l’impression et la numérisation de mes clichés et leur transmission, par la voie électronique… d’une durée interminable ! Aujourd’hui, avec le numérique, je ne suis plus limité comme auparavant par le nombre de photographies à prendre et j’ai une latitude nettement plus grande pour l’exposition et la couleur. Et je peux même aujourd’hui photographier dans le noir… avec de beaux résultats. Et je peux retoucher mes photographies !  

Aimez-vous en définitive votre métier de « photographe lyrique »  ?  

Des 300 assignations que j’effectue à chaque année, ce sont mes assignations à l’opéra que je préfère. Elles me permettent de rencontrer des artistes de grand talent et de vivre des moments de grande intensité. J’y côtoie la beauté, capture, voire sublime, du rêve. Et je suis heureuse de contribuer à pérenniser la vie des productions car ce sont souvent les images - et mes photographies - qui prolongent leur vie et rappellent qu’elles font partie du patrimoine culturel du Québec… et de l’Humanité !

Daniel Turp

Note : Ce portrait paraîtra dans la version imprimée du numéro 18 (Hiver 2019) de L'Opéra- Revue québécoise d'art lyrique.


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