ENTRETIEN AVEC QUARTOM … DE PETITS CHANTEURS À POLITICIENS TEXANS DE JFK !
PHOTO: Les membres de Quartom (de gauche à droite) : Gaétan Sauvageau (ténor), Philippe Martel (baryton-basse), Julien Patenaude (baryton) et Benoît Le Blanc (baryton)
(@ Brent Calis)
Ils ont une formation classique, sont diplômés des facultés et conservatoire de musique du Québec et ont tous été de petits chanteurs… Deux d’entre eux ont joué dans des « bands » (Insane et Act of God/Snail Trail) et les deux autres s’en sont tenus à chanter des messes et des concerts classiques ! Ils ont interprété les hymnes nationaux au Centre Bell, chanté lors de la récente installation de la Gouverneure Générale Julie Payette, participé à la Tournée Piaf à 100 ans – Vive la môme, accompagné Lisa Leblanc au Centre Vidéotron pour le spectacle bénéfice Chanter plus fort que le feu pour la nouvelle salle de Petite-Vallée, et incarneront bientôt des politiciens texans dans JFK à l’Opéra de Montréal. Et ils forment aujourd’hui un quatuor vocal, Quartom, qui a le vent dans les voiles et célébrera en janvier 2018 le dixième anniversaire de sa création. Les barytons Benoît Le Blanc et Julien Patenaude, le baryton-basse Philippe Martel et le ténor Gaétan Sauvageau, qui composent ce groupe unique, se sont confiés à L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique avant de répandre La Bonne Nouvelle – et la bonne humeur – au Théâtre Paradoxe à Montréal en un soir d’automne.
Parlez-nous de la naissance de Quartom… et de sa résilience après 10 ans d’existence ?
Le quatuor est né début janvier 2008. Le projet a été initié par Benoît Le Blanc ; il souhaitait créer un quatuor vocal qui pourrait choisir son propre répertoire et le présenter à l’occasion d’événements très diversifiés. Les liens d’amitié de Benoît avec Julien Patenaude expliquent qu’il ait été le premier à être invité à s’associer à cette aventure. Gaétan Sauvageau accepte aussi de s’associer au projet, le dernier – et non le moindre parce qu’il fallait une basse ou un baryton-basse, l’espère rare ! – à se joindre à la formation devenant Philippe Martel. Tout cela s’est fait en 48 heures, une première rencontre scelle l’entente et met Quartom sur les rails. Lors de cette rencontre, il est d’ailleurs convenu que l’ensemble fonctionnera de façon démocratique, notamment pour le choix du répertoire qui ne comprendra que les oeuvres ayant obtenu l’imprimatur de trois des quatre membres du groupe !
Et cet esprit démocratique, de même que la bonne communication entre ses membres, expliquent sans doute sa résilience. Le fait qu’on était amis dès le départ, ou qu’on le soit devenus, y a également contribué. Cette amitié nous a d’ailleurs permis de reconnaître nos forces respectives et de partager équitablement les tâches au sein du groupe, tant musicales et administratives que logistiques et… numériques ! Sans doute la qualité de nos rapports personnels nous a-t-elle permis de décider de faire graviter nos carrières autour de Quartom. Quartom ne nous occupait d’ailleurs pas à temps plein au départ. L’arrivée de notre agente Lise Boyer en 2013 n’est pas étrangère au fait que nous mettons aujourd’hui l’essentiel de nos énergies dans Quartom. Nos carrières de solistes et de choristes n’ont plus la même importance que jadis, bien qu’il nous arrive d’accepter de chanter au sein de formations comme le Studio de musique ancienne de Montréal et La Chapelle de Québec (Philippe Martel), de participer à un concert de trois ténors québécois (Gaétan Sauvageau), d’interpréter les mélodies de Gilbert Patenaude, son père, et de diriger des choeurs (Julien Patenaude), ou de participer à des enregistrements en tant que soliste (Benoît Le Blanc).
À quel groupe pourrait-on comparer Quartom… ou à qui se compare-t-il lui-même ?
Et toute modestie, nous sommes incomparables. Cela dit, les gens nous associent souvent aux King’s Singers, qui forment toutefois un sextet et dont l’existence remonte à 1968. Lors du spectacle Piaf, nous avons personnifié les Compagnons de la Chanson, qui ont conquis le coeur des Français de 1941 à 1985, mais qui étaient neuf chanteurs, un nonette ! Connus ici, Les Frères Jacques ont formé un véritable quatuor vocal français, de 1946 à 1982, mais n’avaient pas, comme nous, choisi d’aborder un répertoire classique. Les Québécois.e.s sont moins familier.e.s avec Les Quatre Barbus, un autre quatuor vocal français qui aborda de 1938 à 1969 le répertoire lyrique. Et il y aussi depuis 2012, le quatuor vocal À rebrousse-poil, qui se présente aussi comme Les Quatre barbus, composé de jeunes Françaises ayant aussi un penchant pour le classique et le lyrique… des genres qu’el les parodient également ! Quartom, ce quatuor d’hommes – telle est en effet l’étymologie de son nom – demeure donc aujourd’hui unique ! Peut-être sommes-nous devenus – ou deviendrons-nous – les Fab Four… de la scène lyrique !
Vous avez été formés dans des facultés et conservatoires. Que retenez-vous de cette formation ? Vous a-t-elle bien préparés à devenir Quartom ?
Avant les facultés ou conservatoires, nous avons été formés comme petits chanteurs : du Mont-Royal pour Benoît et Julien, de Beloeil pour Gaétan, de la maîtrise de Québec pour Philippe. Cette expérience chorale nous a appris à chanter avec les autres, à évaluer les forces et faiblesses des uns et des autres. Elle nous a fait aimer la pratique de chanter en groupe et de la musique d’ensemble, comme elle nous a aussi fait connaître un vaste répertoire de musique liturgique et sacrée. En ce qui concerne notre passage dans des institutions d’enseignement supérieur, il nous a permis de faire des choix, de savoir ce que nous aimerions faire, et quelle carrière était accessible. Il a aussi été à l’origine de rencontres avec des collègues qui font aujourd’hui des carrières internationales, comme Fred (Frédéric) Antoun, Julie Boulianne, Étienne Dupuis, Joshua Hopkins et Michèle Losier. Et, quand on y pense, les facultés et conservatoires ont été nos lieux de rencontre, là où l’idée d’un ensemble vocal a germé, comme le suggère le fait que trois d’entre nous avaient formé un choeur d’hommes, un octuor avec Martin Auclair, Antonio Figueroa, Julien Proulx et Étienne Saint-Gelais.
Quelles sont les personnes qui ont été pour vous une source d’inspiration pendant votre parcours académique et, ultérieurement, dans votre carrière professionnelle ?
Pour Gaétan Sauvageau, Yannick Nézet-Séguin, dont il a pu notamment apprécier le travail dans le cadre de la production de Salomé de Strauss à l’Opéra de Montréal et au sein du Choeur de l’Orchestre Métropolitain, demeure celui qui l’inspire dans son parcours. Sa capacité à habiter la musique, à transmettre sa grande sensiblité musicale aux instrumentistes, choristes et solistes, l’a impressionné et explique fort probablement sa fulgurante ascension dans le monde musical et lyrique.
Il n’est pas surprenant que Julien Patenaude cite le grand chef de choeur et compositeur Gilbert Patenaude – son père – comme le musicien qui l’a guidé et influencé durant son parcours. Il tient par ailleurs à ajouter que le metteur en scène François Racine, avec lequel il a collaboré sur une demi-douzaine de projets, compte également parmi les personnes qui l’ont marqué, notamment en raison de son excellent sens de la communication.
Philippe Martel cite quant à lui deux chefs, Christopher Jackson et Bernard Labadie, en évoquant leur respect des interprètes et le plaisir qu’ils donnent à chanter.
Pour Benoît Le Blanc, la mezzo-soprano italienne Cecilia Bartoli est une idole – depuis sa tendre enfance –, inspirante en raison de son rôle d’ambassadrice de la musique. Elle lui donne envie de continuer à faire de la musique et à devenir aussi et à sa façon, son ambassadeur également.
Un petit retour en arrière, si vous le voulez bien. Avez-vous été baignés dans la musique, voire l’opéra, dans votre petite enfance, enfance et adolescence ?
Nous avons vraiment tous été baignés dans la musique en tant que petits chanteurs. Pour ce qui est de l’opéra, Julien et Benoît ont chanté, dès leur jeune âge et en leur qualité de petits chanteurs du Mont-Royal, dans des productions de l’Opéra de Montréal, le premier gardant un beau souvenir d’une production de Carmen et le second d’une participation à La Bohème. Gaétan a pris goût à l’opéra un peu plus tard dans sa vie, à la fin de l’adolescence : au départ, il n’a pas été séduit par ce genre où l’on crie et où l’on ne comprend pas les paroles ! Quant à Philippe, son père, l’architecte, qui écoutait toujours de la musique en travaillant, et sa mère, professeure de chant, l’ont amené au concert et à l’opéra. Cela lui a permis d’entendre constamment de la musique, y compris de l’art lyrique, un genre qu’il a aujourd’hui apprivoisé.
Un saut dans le présent. Vous transmettez La Bonne Nouvelle au Théâtre Paradoxe, préparez des spectacles de Noël et poursuivez votre présentation d’Acte III. Comment arrivez-vous à gérer ce présent… avec tant de flèches à votre arc ? Et y a-t-il de nouveaux répertoires que vous aimeriez explorer ?
On gère au jour le jour, cela ne pose pas de problème. Un effort plus grand est requis lorsque nous avons à présenter, de façon rapprochée et consécutive, nos trois spectacles différents. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de constituer un plus large répertoire : un répertoire plus varié devrait nous attirer des invitations plus diversifiées ! Le répertoire québécois est une priorité car notre patrimoine musical national offre tant de possibilités. La musique sacrée nous intéresse également, et nous allons nous produire dans ce répertoire avec Luc Beauséjour l’an prochain. Et pourquoi pas du chant grégorien, qui nous permettrait de faire le tour des abbayes du monde entier ! Nous avons d’ailleurs chanté, en style grégorien, les premières paroles de la chanson « Aujourd’hui, ma vie c’est de la… » lors d’un spectacle avec Lisa Leblanc au Club Soda en juillet 2015 (Quartom chante alors pour les signataires du présent entretien ces paroles !).
En ce moment, vous travaillez aussi sur la production de JFK à l’Opéra de Montréal en janvier 2018. Comment vous préparez-vous pour cet événement lyrique ?
D’abord, l’invitation du directeur artistique de l’Opéra de Montréal, Michel Beaulac, est une belle marque de confiance. Il nous donne l’occasion d’être ensemble sur une scène lyrique, tous les quatre en même temps. Cette invitation n’est sans doute pas étrangère au fait que nous sommes allés faire une audition avec lui un jour et qu’il nous avait dit, sans nous offrir de rôles à l’époque, qu’il avait des projets… en laissant entendre qu’il pourrait un jour faire appel à nous dans le cadre de tels projets. Quelques mois plus tard, Benoît a reçu un courriel invitant les quatre chanteurs de Quartom à faire partie de la distribution de l’opéra américain de David T. Little et à incarner les rôles de politiciens texans.
En ouvrant la partition, très homophonique pour la partie que nous allons chanter, nous avons constaté que les rôles étaient faits sur mesure pour nous. Nous serons d’ailleurs les seuls chanteurs québécois de la distribution, car la production sera présentée avec la distribution originale composée d’interprètes provenant principalement des États-Unis d’Amérique, les Canadiens Daniel Okulitch et Johan McMaster faisant aussi partie de cette distribution. Nous tenterons d’ailleurs d’attirer à JFK le public de Quartom, qui n’est pas nécessairement composé de lyricomanes, lors de la première du 27 janvier prochain et pour les autres représentations… pour leur faire apprécier – il s’agit là d’un nouveau pari audacieux de la compagnie lyrique de la métropole –, un autre opéra contemporain américain.
Quels sont vos projets futurs ? Préparez-vous des tournées ? Parlez-nous de l’idée de la présentation de La Bohème… en langue française !
Un quatrième disque, de musique sacrée, est en préparation et devrait sortir à l’automne 2018… Notre tour du Québec se poursuivra avec nos spectacles de Noël, La Bonne Nouvelle et Acte III, et deux tournées en Colombie- Br itannique sont également prévues au printemps et à l’automne 2018. Faire La Bohème de Puccini dans sa version française est un rêve que caresse Julien Bilodeau, une production d’une telle version ayant presque vu le jour il y a quelques années à la Société d’art lyrique du Royaume lorsqu’el le était dir igée par Marc-Antoine d’Aragon. Avis aux personnes intéressées à entendre La Bohème en français et prêtes à investir dans un tel projet !
Si l’on vous donnait des moyens infinis, quel projet lyrique aimeriez-vous réaliser ?
Un projet lyrique avec Robert Lepage ou avec un autre grand metteur scène, le Britannique Peter Brook ! Un projet avec des éléments acoustiques et visuels originaux, une expérience technologique à l’image de Quartom. Un projet « Outside the Box » stimulant. Une expérience Quartom !